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Strasbourg qui tombait après avoir épuisé toutes ses forces de résistance : aujourd’hui malheureusement, il n’y a plus à en douter, c’est Metz qui vient de succomber. Cerné depuis le 14 août, réduit à lui-même, le maréchal Bazaine a passé deux mois et demi à lutter héroïquement, à renouveler sans cesse les assauts furieux pour rompre le cercle de fer qui l’entourait et se frayer un chemin. C’était impossible, puisqu’il n’a pas réussi, et après tant de combats il a été réduit à plier devant la nécessité cruelle, il a été obligé de se rendre, lui et son armée, faute de vivres et de munitions ; il n’a pu même sauver la garnison de la place, qui aurait pu peut-être se défendre encore. Voilà la seconde armée française qui s’en va prisonnière en Allemagne ! C’était tout ce qui restait hors de Paris de l’ancienne armée régulière. La conséquence grave de la capitulation de Metz, on ne peut pas le méconnaître, c’est que 150,000 Allemands au moins, fixés jusqu’ici autour de la citadelle de la Lorraine, retrouvent d’un seul coup la liberté de leurs mouvemens, et peuvent grossir encore les masses prussiennes répandues en France.

Or dans cette situation quelle est la portée de ce bruit de négociation qui nous revient avec M. Thiers, rentré depuis quelques heures à Paris ? Quel est le sens réel de cet incident diplomatique, signalé officiellement aujourd’hui en même temps que la douloureuse reddition de Metz ? Nous ne voudrions altérer en rien les vrais termes dans lesquels se révèle cet incident. — La forte impression produite en Europe par la résistance de Paris aurait conduit quatre grandes puissances neutres, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, l’Italie, à se rallier à une idée commune. Ces puissances, dit-on, « proposent aux belligérans un armistice qui aurait pour objet la convocation d’une assemblée nationale. Il est bien entendu qu’un tel armistice devrait avoir pour conditions le ravitaillement proportionné à sa durée et l’élection de l’assemblée par le pays tout entier. » Et d’abord il y a un fait à préciser. Ce n’est point du tout M. Thiers qui a demandé à la Prusse le sauf-conduit à l’aide duquel il est rentré momentanément à Paris pour rendre compte de sa mission ; il n’a eu jusqu’à sa rentrée aucun rapport direct avec le chancelier de la confédération du nord. C’est l’empereur de Russie qui est intervenu pour obtenir le sauf-conduit, et il a été appuyé dans cette démarche par les trois autres puissances. Maintenant, cette question de forme écartée, quel est le sens précis, quelles sont les limites et quelles peuvent être les conséquences de cette démarche collective, dont le premier effet est une proposition d’armistice à laquelle les puissances semblent d’ailleurs attacher quelque prix ? Jusqu’à quel point les puissances sont-elles décidées à soutenir leur « idée commune ? » M. de Bismarck se rendra-t-il à cette proposition d’armistice avant que des bases de paix n’aient été précisées ? Mais ces bases, qui pourrait les formuler d’une façon définitive avant qu’une assemblée française n’ait été nommée, et