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Quant aux morts, ils sont morts ! paix à ces imbéciles !
Vivent les gens d’esprit ! vivent ces temps faciles
Où l’on peut à son choix prendre pour nourricier
Le Crédit mobilier ou le Crédit foncier !
La république rouge aboie en ses cavernes,
C’est affreux ! liberté, droits, progrès, balivernes !
Hier encor j’empochais une prime d’un franc ;
Et moi je sens fort peu, j’en conviens, je suis franc,
Les déclamations m’étant indifférentes,
La baisse de l’honneur dans la hausse des rentes.

Le portrait est piquant, les vers sont spirituels. Plus d’un original s’y pourrait reconnaître ; mais une poignée d’hommes d’argent est-elle la bourgeoisie française ? Aujourd’hui que l’auteur est rentré parmi nous, nous sommes assurés qu’il a retrouvé, à peu de différence près, le Paris qu’il avait quitté, celui de 1830 et de 1848, le Paris qui faisait ses délices des Feuilles d’automne et celui qui applaudissait à Hernani, à Lucrèce Borgia, le Paris qui l’avait envoyé à l’assemblée nationale. En secouant la poussière de l’exil, il a certainement jeté au vent les injustes préjugés ; en serrant la main de ses concitoyens, cette main qui combat au service de la France, et qui ne signera jamais une paix honteuse, il a senti qu’elle n’avait pas tant dégénéré du bon sang des aïeux. Pour que la victoire soit complète, il faut que le retour dans sa patrie soit aussi le retour à la modération. De notre côté, nous reconnaîtrons avec plaisir que l’écrivain irrité des Châtimens est toujours l’auteur de tant de poésies humaines, de tant de pages inspirées par l’esprit de conciliation et de douceur. Les Châtimens ont pu soulever çà et là des colères et semer des divisions ; que toute l’amertume en retombe sur les auteurs de nos maux. Il y en a de plus d’une sorte, et ils ne sont pas tous dans le même camp ; l’écrivain n’a pas vécu tellement seul dans l’exil qu’il ne le sache aussi bien que nous. Qu’il revienne dégagé de l’esprit de secte, ainsi que le promettent déjà les paroles prononcées par lui dans cette crise suprême. Paris d’abord et la France après lui salueront avec empressement leur grand poète.


F. DE LAGENEVAIS.