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A l’eau les chiens ! le cerf qui brame
Se perd dans l’ombre du bassin. —
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Le poète l’avait habillé en prétendant nécessiteux, le dépouillant de ce reste de majesté que consacrent l’exil et les royales infortunes. L’impitoyable satire le livrait à la risée ; elle faisait de son coup d’état un immense larcin, et n’attribuait d’autre but à son ambition que l’or et les coffres toujours pleins. La conscience publique s’est révoltée contre l’accusation : l’homme qui s’appelait du même nom que le vainqueur de Marengo et d’Austerlitz ; l’homme que la France avait choisi, qui, non content d’être le premier de la république, avait bien osé se rendre maître du pays et prétendu fonder sa dynastie, en vérité il ne pouvait avoir des vues si basses. Quand on a l’honneur de régner sur la France, on aspire à quelque chose de mieux que d’être riche. Le pays se sentait lui-même atteint par de telles suppositions. La conduite du prince a-t-elle donné un démenti au poète sur ce point ? L’histoire le dira ; elle fera des papiers célèbres des Tuileries un dépouillement qui seul sera définitif ; mais c’est déjà une chose fâcheuse que les apparences, et le poète est trop vengé.

« Ceux que Jupiter veut perdre, il leur ôte l’esprit ; » voilà un adage ancien qui se vérifie trop souvent aux dépens des peuples. Comment se serait-il préservé des accusations et des reproches, celui qui a voulu courir au-devant de sa ruine ? Il a entrepris une guerre qu’il n’était pas en mesure de soutenir. Il s’est estimé bon capitaine et a compromis dès l’abord son armée en lui donnant un chef incapable. Il est resté en secret général en chef, poussant jusqu’au bout, avec son artifice obstiné, l’imprudence d’un commandement ambigu. Il a fait triompher dans les conseils un plan que l’intérêt seul de sa sûreté et de sa dynastie lui faisait choisir, et il a joué dans une partie dangereuse son salut et celui de la patrie. Il a, par d’inexcusables retards, perdu la seule bonne carte qu’il eût dans son jeu, une avance, de quelques jours. Taisons-nous sur les hontes de Sedan ; nous ne parlons que des folies, et nous cherchons par quelle série d’aveuglemens il s’est chargé de donner raison à une satire qui nous paraissait trop sanglante. Ah ! pourquoi le ciel ne l’a-t-il pas abandonné la veille du jour où il a mis la main sur le pouvoir suprême ? Pourquoi n’a-t-il été habile que pour suspendre dans le corps de la nation la vie politique et pour enchaîner nos libertés ?

Les fautes ont dépassé les espérances du poète. Celui-ci croyait à une vengeance du peuple, à un réveil du lion. Cette fois la