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Et pourtant l’homme contre lequel on prenait cet engagement, il dépendait de lui de rendre vaines toutes ces promesses, de faire que ces sermens fussent à jamais stériles. Il pouvait appeler à lui des conseillers honnêtes, respecter cette nation qui s’était mise dans ses mains, ménager la substance de ce peuple qui ne lui marchandait pas les largesses, éloigner les scandales de son impériale demeure, surtout ne pas sacrifier à son incapacité la fortune de la France, pour la laisser à la fin sans ressources, sans armes et la gorge sous le sabre prussien ; mais non, ce n’était pas le compte de la justice divine. Il adorait la fatalité qui l’a conduit à sa perte. Il a tout fait pour se jeter dans l’abîme et donner la victoire à son ennemi.

Nous ne prenons pas à notre, compte tous les jugemens du satirique. Pourtant ce serait une curieuse étude, si elle n’était pas si triste, de voir comment la vie du prince a fourni après coup à la satire comme des pièces à l’appui. Le poète dénonçait en lui un épicurien parvenu au trône, un Trimalcion couronné. Il n’a pris aucun souci de l’avertissement. Son règne a été le signal des fêtes et de la profusion ; sa maison, ses écuries, ses chasses impériales, ont effacé le luxe de nos rois les plus fastueux. A le voir si fort préoccupé de l’éclat dont il entourait sa cour, de la splendeur qu’il exigeait autour de lui, on déplorait cette manie de dépense, on l’attribuait à des idées fausses sur l’intérêt du commerce ; on refusait de croire son adversaire, qui l’accusait de n’avoir aspiré au souverain pouvoir que pour ses jouissances. Quant à lui, il dédaignait ces vains propos ; il méprisait ces vers qui venaient expirer aux portes de ses palais :

Pour les bannis opiniâtres,
La France est loin, la tombe est près.
Prince, préside aux jeux folâtres,
Chasse aux femmes dans les théâtres,
Chasse aux chevreuils dans les forêts…
Les plus frappés sont les plus dignes ;
Ou l’exil ! ou l’Afrique en feu !
Prince, Compiègne est plein de cygnes,
Cours dans les bois, cours dans les vignes :
Vénus rayonne au plafond bleu ;
La bacchante aux bras nus se pâma
Sous sa couronne de raisin. —
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !
Les forçats bâtissent le phare,
Traînant leurs fers au bord des flots !
Hallali ! hallali ! fanfare !
Le cor sonne, le bois s’effare,
La lune argente les bouleaux ;