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Dans ma sainte fureur,
Pareil aux noirs vengeurs devant qui l’on se sauve,
J’écraserai du pied l’antre et la bête fauve,
L’empire et l’empereur !

Ce n’est pas assez du belluaire, il faut le bourreau, le tourmenteur, et le poète se fait exécuteur des hautes œuvres de sa justice. Ces cris d’une haine farouche ressemblaient à de la rage impuissante, quand ils arrivaient affaiblis dans le silence, dans le calme plat où la France s’était endormie. Ils déplaisaient, ils irritaient, quand le son discordant troublait le repos où le pays s’était arrangé pour vivre ; mais aujourd’hui que la sagesse d’alors est devenue folie, que la prospérité est devenue misère, aujourd’hui que l’héritier d’un grand nom n’est plus qu’un audacieux qui s’est glissé par fraude dans un patrimoine de gloire, aujourd’hui enfin que nous voyons trop clairement notre erreur et notre faiblesse, et que, malheureusement livrés, nous nous associons plus aisément à la passion du poète, ne semble-t-il pas que ces vers de l’auteur des Châtimens viennent d’éclater sous l’inspiration de la colère publique ?

On le disait ici même il y a un an[1], ces traits brûlans font violence à une pudeur du goût et de la langue qui conservent toujours leurs droits, l’indignation est plus éloquente que la colère, et les vers ne perdent rien de leur force à s’imposer une certaine mesure. Ce que l’on disait, nous le pensons encore. Comme nous n’avons pas craint alors de parler les premiers en France des Châtimens devant l’homme qui ne relâchait rien de son pouvoir (l’événement l’a bien prouvé), nous ne craignons pas aujourd’hui, devant celui qui le traîne à son char triomphal, de maintenir les privilèges de la critique. Oui, Victor Hugo serait tout aussi grand écrivain, s’il était moins outré dans son langage ; son livre aurait produit un effet tout aussi sûr et plus prompt, s’il avait semé parmi tant de poésie ardente et splendide quelques grains d’atticisme. Après tout, Eschyle, Dante et Juvénal, qu’il reconnaît pour ses maîtres, ne se jettent pas en des transports continuels. Voilà, si je ne me trompe, ce qu’après avoir condamné le prince et glorifié le poète, l’incorruptible postérité dira de cette verve violente et presque furieuse ; mais les citoyens ne sont en ce moment ni la froide postérité ni les calmes lecteurs d’il y a un an : ils sont des Français cherchant leur bien-aimée France au milieu d’une sanglante mêlée et dans la nuit profonde ; ils ne peuvent s’empêcher de jeter l’anathème sur l’auteur de tant de maux, et de prendre part à ce duel que l’exilé a soutenu si fièrement.

L’avenir dira si la révolution de 1848 était nécessaire ; mais à l’époque de ce mouvement qui a produit de si terribles

  1. Voyez la Revue du 15 Juin 1869.