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et de la Hollande, et qu’elle restitue les débris de la Pologne. Cela fait, on aura constitué en Europe un petit nombre de grandes agglomérations mal cimentées, dont l’anarchie et les rivalités jalouses amèneront des déchiremens et des chocs terribles.

Il est clair que la théorie des nationalités doit tenir un grand compte des droits créés ou modifiés par l’histoire, et que la principale règle de cette théorie doit être d’observer surtout, de respecter dans tous les cas les vœux des peuples. En quelle mesure ces deux conditions s’appliqueraient-elles à la revendication des deux provinces françaises au profit de l’Allemagne ou de la Prusse ? Une grands partie de la population y parle allemand, cela est vrai ; elles ont jadis appartenu par divers liens féodaux plus ou moins étroits à l’Allemagne à peine constituée, nous le savons. La France ne possède l’une des deux que depuis la fin du XVIIe siècle, et certaines portions de l’autre que depuis le dernier tiers du XVIIIe. Qu’importe ? Osera-t-on dire qu’elles n’étaient pas devenues toutes françaises, et que leurs vœux appelaient une délivrance ? Si, après leur résistance héroïque contre l’invasion, la chose vous paraît encore incertaine, il y a un moyen très simple de vous en convaincre : faites voter l’Alsace et la Lorraine, faites voter Strasbourg ; vous les occupez, et vous n’y craignez donc aucune pression de notre part. Posez-leur cette unique question : voulez-vous devenir allemandes ou rester françaises ? et si la majorité des suffrages est en votre faveur, nul n’aura plus le droit de blâmer ou de combattre vos annexions ; la Lorraine et l’Alsace seront de plein droit provinces allemandes. Allons ! pour un peuple qui prétend représenter la justice, la moralité, le droit, la chose en vaut la peine, le prix est magnifique, l’exécution est facile. Vous ne le ferez pas cependant ; vous connaissez de reste le vote des Alsaciens et des Lorrains : ils sont venus vous rapporter à coups de fusil, en offrant leur sang pour défendre leurs foyers. Quelle est donc cette nécessité sainte qui vous force à ramener vers le bercail les brebis enlevées par le loup ravisseur ? Où sont-ils, ces Allemands arrachés à la grande patrie, et qui gémissaient au souvenir de Sion ?

En dehors du faux prétexte que vous offrait une interprétation perfide de la théorie des nationalités, quel autre droit pourriez-vous invoquer que celui de la conquête et de la force ? Après tout pourquoi le dissimuler, si vous sortez de la lutte définitivement vainqueurs ? N’appartient-il pas aux vainqueurs de dicter leurs volontés ? n’est-ce pas le droit de la guerre ? — Eh bien ! non. Il y a un droit nouveau, noble résultat des progrès de la raison et de l’humanité, et dont vous ne refusez pas d’exécuter certaines conditions quand vous avez intérêt à vous assurer des avantages