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ce prodigieux degré de gloire et de puissance qui serait la suite naturelle d’une pareille résurrection ?

Ajoutons qu’à un autre point de vue la constitution de la république en France aurait un immense intérêt, en ce qu’elle deviendrait vis-à-vis de l’Europe un levier d’une puissance incalculable, l’étoile polaire sur laquelle s’orienterait toute la démocratie européenne, qui, peu édifiée sur ses monarques et fatiguée de ses aristocraties, tournerait les yeux avec espoir vers un gouvernement populaire qui viendrait de donner au monde un tel exemple de force et de virilité.

Pour cela il faut vaincre, il faut triompher de la Prusse ; mais après tout c’est là un effort qu’il est permis d’attendre de la France combattant non plus pour la gloire, mais pour le salut, et conduite par des hommes tels que Bazaine, Trochu et Bourbaki. Le triomphe militaire, la victoire finale, beaucoup l’espèrent aujourd’hui. Après avoir d’abord combattu pour l’honneur, on commence, et non sans raison selon nous, à compter sur le succès.


II

Mais ici se présente la grande et capitale objection : ce n’est pas tout de vaincre, il faut fonder un gouvernement, constituer une république qui dure, qui soit autre chose qu’un fugitif météore. Or la France a-t-elle réellement le tempérament, les mœurs, les habitudes et les aptitudes que requiert la pratique des institutions républicaines ? N’est-elle pas monarchique par tradition ? n’est-elle pas sujette à ces intermittences, à ces lassitudes périodiques pendant lesquelles elle abdique volontiers tous ses droits dans les mains d’un sauveur, pour jouir du bonheur de ne plus entendre parler de politique ? Enfin ne renferme-t-elle pas derrière les murs de toutes ses grandes villes des foules nombreuses, fanatisées de longue date par des théories absurdes, et qui, exploitées par des meneurs généralement peu recommandables, inquiètent périodiquement la paix publique, troublent le travail, agitent les esprits, et ne peuvent être contenues que par un pouvoir fort, armé d’attributions étendues, de grands moyens militaires, toutes conditions peu compatibles avec l’établissement et la consolidation d’un gouvernement républicain ? Que la France vienne à bout de chasser les Prussiens, on peut l’espérer de son courage et de ses aptitudes belliqueuses. Quant à fonder un gouvernement durable, particulièrement un gouvernement républicain, c’est une œuvre plus difficile, et qu’il est permis de ne pas attendre de ses antécédens politiques.