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gouvernement se gardait bien d’avertir, se faisait l’écho du mauvais vouloir populaire. La loi fut votée cependant, mais la garde mobile ne fut qu’imparfaitement organisée, et lorsque le maréchal Niel mourut, son successeur, de néfaste mémoire, le maréchal Lebœuf, ou par imprévoyance et par légèreté, ou pour contrecarrer les plans de son prédécesseur, ne vit rien de mieux à faire que de laisser tomber l’institution. Aussi cette garde mobile, qui pouvait fournir 500,000 hommes, et qui au début de la guerre eût pu changer le sort de la campagne, ne put-elle être appelée qu’après nos désastres et comme la ressource extrême d’une situation sans précédens.

Par son opposition à l’unité allemande, par l’imprévoyance qui avait présidé à nos préparatifs militaires, l’empire, en tombant, avait légué à la république une situation également mauvaise sous le rapport politique et sous le rapport militaire. Déjà, et à ce double point de vue, la république a sensiblement relevé nos affaires. La démarche si honorable de M. Jules Favre au quartier-général prussien a complètement interverti les situations. Désormais ce n’est plus la France qui est l’agresseur, ce n’est plus elle qui met obstacle au développement des destinées germaniques ; elle le voudrait d’ailleurs qu’elle ne le pourrait pas. L’unité allemande est faite ; l’homme éminent qui portait la parole au nom de la France désavouait une guerre impolitique qu’il avait toujours personnellement combattue, et tout en réservant, bien entendu, l’intégrité de notre territoire, il laissait comprendre que la France, reconnaissant l’injustice de la politique qui avait amené la rupture, ne refuserait pas de payer à l’Allemagne une indemnité de guerre. Nous n’avons pas besoin de rappeler comment cette loyale ouverture a été accueillie. En avouant hautement l’intention arrêtée de démembrer la France, de la faire descendre au second rang, en demandant avec une naïveté cynique qu’on lui livrât la forteresse du Mont-Valérien, M. de Bismarck nous a rendu l’incomparable service de faire cesser dans les esprits toute hésitation, toute incertitude ; il a montré clairement à la France qu’il s’agit pour elle d’être ou de ne pas être, et il l’a provoquée solennellement à une lutte à outrance qui ne peut se terminer que par l’écrasement de l’une des deux nations. Plus de compromis, de transaction, d’échappatoire, plus de ces moyens termes qui, entrevus dans le lointain, énervent les esprits et les inclinent aux concessions honteuses. Ce que veut la Prusse, ce n’est pas la liberté de ses mouvemens intérieurs, ce n’est pas la réparation d’un préjudice, c’est, d’un seul mot, la destruction de la France ; elle trouve qu’il n’y a pas place en Europe pour la Prusse et pour la France, et que c’est la France qui est de trop. A de pareilles prétentions, ce n’est pas par