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I

La France a devant elle un double problème à résoudre : repousser l’étranger, constituer son gouvernement intérieur. Examinons d’abord la première question, et à cette occasion qu’il nous soit permis de revenir un instant en arrière.

Tout a été dit sur l’inexplicable légèreté avec laquelle on s’est lancé avec 240,000 hommes contre une puissance qui disposait de plus de 1 million de soldats ; mais sans rechercher si la France a voulu ou n’a pas voulu cette guerre, et pour notre part nous croyons que la guerre a été moins impopulaire qu’on ne l’a prétendu, ce qu’il faut surtout reprocher au gouvernement impérial, c’est d’avoir suivi depuis quatre ans une ligne de conduite qui rendait la guerre inévitable.

Après comme avant Sadowa, le gouvernement impérial n’a su avoir et suivre aucune politique. Avant Sadowa, il pouvait entraver les projets de la Prusse en faisant manquer son alliance avec l’Italie. Il pouvait s’entendre avec la Prusse, limiter son ambition en y acquiesçant dans une certaine mesure et désintéresser le chauvinisme français par quelque rectification de frontière. Il pouvait enfin garder une neutralité attentive, laisser l’Allemagne se constituer comme elle l’entendrait, mais pendant ce temps mettre la France sur un pied militaire formidable, resserrer ses alliances avec toutes les puissances secondaires, plus ou moins menacées par la constitution de l’unité germanique, conclure des traités avec l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, la Hollande et le Danemark, affirmer avec une force nouvelle la neutralité de la Belgique et de la Suisse, en un mot se présenter à l’Europe comme le champion des petites puissances, des nationalités menacées, comme la tête de colonne de cette race latine dont l’Allemagne proclamait si haut la déchéance.

Entre toutes ces politiques possibles, on n’en choisit et l’on n’en suivit aucune. A Biarritz, en 1865, l’empereur n’opposa à toutes les ouvertures de M. de Bismarck qu’un silence énigmatique qui visait à la profondeur et qui ne recouvrait que le vide. Non-seulement il consentit à l’alliance de la Prusse avec l’Italie, mais il la prépara et la consomma lui-même, sans s’être mis d’accord avec la Prusse sur aucun point, et sans avoir mesuré par conséquent l’usage qu’elle ferait de cette alliance. Pour comble d’imprévoyance, il ne fit aucun armement, laissa notre frontière dégarnie, si bien que, l’Autriche une fois abattue, il se trouva hors d’état de faire ses conditions et d’imposer des limites à l’ambition du vainqueur. Voilà ce qu’on fit, ou plutôt ce qu’on ne fit pas avant Sadowa.