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Plutarque, à se prodiguer et à s’user dans les luttes de chaque jour et le détail des affaires ; il se faisait d’ordinaire remplacer par ses confidens, par ses amis politiques, par Éphialte et par d’autres dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous : c’est quand les circonstances étaient graves qu’il apportait à ses concitoyens le résultat de ses longues méditations. Aidé par les habitudes philosophiques de son esprit, il était arrivé, sur la politique d’Athènes, sur sa situation et ses véritables intérêts, à une suite d’idées, à un système dont toutes les parties se tenaient et pouvaient résister à la discussion. Dans cette conception, qui acquit chez lui une netteté et une force singulières, entraient des élémens qu’avait préparés le travail dès générations antérieures. « Depuis que Solon eut fondé la démocratie athénienne, il s’était formé, dit Ottfried Muller, chez les hommes d’état les plus distingués, une idée déterminée de la mission d’Athènes, idée fondée sur des réflexions pénétrantes au sujet de la situation extérieure et des ressources intérieures de l’Attique, du caractère et des dispositions de ses habitans. Le développement de la souveraineté populaire, l’industrie et le commerce, l’empire des mers, tels étaient aux yeux de ces hommes d’état les points principaux de la mission d’Athènes. Certaines de ces idées se transmirent de Solon, par toute une série de politiques plus ou moins connus aujourd’hui, jusqu’à Thémistocle et Périclès, et, en passant de l’un à l’autre, elles gagnèrent en étendue tout à la fois et en précision. Lors même qu’un parti opposé, celui de Cimon et de Thucydide l’ancien, cherchait à enrayer ce mouvement, ce n’étaient pas après tout ces points principaux qui formaient le sujet de leurs dissentimens avec leurs adversaires ; au fond, ils ne voulaient que tempérer cette agitation trop précipitée qui ressemblait à la flamme d’un flambeau battu par le vent, afin de lui conserver une plus longue durée. « Cette méditation profonde, jointe à ce sentiment très juste des besoins d’Athènes, donnait aux discours d’hommes tels que Thémistocle et Périclès une vigueur et une solidité intrinsèques qui produisirent bien plus d’impression sur le peuple athénien que n’auraient pu le faire une proposition et un conseil utiles, mais isolés et ne visant qu’au cas particulier. »

Le Périclès de ces trois discours de Thucydide est donc bien le Périclès qu’avait suivi à travers les hasards de la guerre la démocratie athénienne. Si Périclès avait assez vécu pour lire les paroles que lui prête Thucydide, il eût peut-être réclamé contre le style, mais il n’eût désavoué aucune des idées que lui prête l’historien.

Ce caractère de gravité, Périclès ne le portait pas seulement dans la suite et le tour de ses idées ; son attitude même et son action gardaient la marque de ses habitudes méditatives, de sa haute et fière réserve. Thucydide n’entre pas dans ces détails, mais Plutarque