Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant encore que l’un des préliminaires du siège de Paris, les Prussiens devront avoir transporté sur une distance de 150 lieues, depuis Mayence, d’où ils tirent leurs ressources, jusqu’à Paris, un matériel du poids de je ne sais combien de millions de tonnes, et composé en partie de substances dangereuses à manœuvrer et d’objets, comme les canons, dont l’unité est d’un transport si difficile. Si l’on songe enfin que l’accomplissement de cette opération à travers un pays épuisé par la guerre et où toutes les voies de communication ont été plus ou moins endommagées exige toute une armée de chevaux, 20,000 ou 25,000 peut-être, on comprend aisément que les Prussiens ne soient pas encore en mesure de prendre l’offensive dans les travaux du siège. C’est la conclusion la plus probable et la plus raisonnable à la fois que nous devions tirer de l’apparente inaction de nos ennemis.

Cette conclusion nous paraît être d’autant plus exacte que nous ne pouvons mettre en doute l’ardeur des désirs qui animent les Allemands, roi, peuple, armée, pour réduire Paris. Il y a ici des intérêts différens, mais qui conspirent pour le même but. Le peuple allemand, qui ne souffre pas moins que nous des maux de la guerre, est persuadé que l’entrée de son armée dans Paris amènerait la fin de cette lutte sanglante et jusqu’ici heureuse pour ses armes ; il presse de tous ses vœux cette solution, et même il ne regarderait pas aux plus grands sacrifices pour le hâter par tous les moyens. L’armée, exaltée par ses premières victoires, l’armée à qui l’on n’a cessé de représenter la prise de Paris comme l’objectif de la campagne, sent bien que tous ses succès passés seraient bien amoindris, si elle ne nous forçait pas à capituler, et par point d’honneur militaire elle préférerait, quelque prix qu’il pût lui en coûter, entrer dans notre capitale par la brèche plutôt que par capitulation. C’est un avantage que d’avoir forcé Toul et Strasbourg à se rendre, mais ce n’est pas un triomphe pour l’amour-propre des soldats. Ni M. de Bismarck, ni le général de Moltke, ni le roi Guillaume, ne seraient peut-être assez puissans aujourd’hui pour leur refuser la satisfaction de pousser le siège de Paris par tous les moyens militaires qui sont en leur pouvoir, et, quoi qu’en ait dit M. de Bismarck, ces personnages, ne l’oublions pas, ont eux-mêmes mille raisons pour s’acharner à poursuivre le même but. Il faut le dire pour bien nous confirmer dans notre résolution de lutte à outrance, le roi Guillaume, ni son ministre, ni son armée n’abandonneront volontairement le siège de Paris. Si le roi de Prusse était obligé de lever le siège, ce qui serait le signal d’un grand changement dans sa fortune et peut-être de cruels désastres, s’il était contraint de repasser le Rhin comme un vaincu, quelles seraient les destinées qui l’attendraient en Allemagne ? Il est impossible que ces considérations ne hantent pas son esprit, et que la conclusion ne soit pas qu’il faut prendre Paris, le prendre à tout prix et le prendre au plus tôt. Les vivres dont ils disposent s’épuisent et deviennent chaque