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LE SIÈGE DE PARIS.


Il y a bientôt un mois que les têtes de colonne de l’armée ennemie se sont montrées sous les murs de la capitale. Paris cependant n’est pas assiégé dans le sens rigoureux du mot, car non-seulement les Prussiens n’ont pas encore tiré un seul coup de canon contre nos forts détachés, mais même ils continuent à ne faire aucun travail de nature à nous indiquer de quel côté ils comptent porter leur attaque. Notre canon est le seul que l’on entende, qui tient jusqu’ici l’ennemi à une distance si respectueuse, que le bruit de ses pièces de campagne, employées du reste uniquement contre nos reconnaissances et nos sorties, ne peut parvenir jusqu’à nous. Quant à ses canons de siège, jusqu’ici il n’en a pas montré un seul, même dans les batteries et dans les ouvrages qu’il a construits pour la défense de ses positions. Les embrasures mêmes qu’il a découvertes sur certains points et que nos officiers ont pu reconnaître n’ont été jusqu’à présent que des embrasures percées pour canon de campagne. Cette attitude a lieu de nous surprendre de la part d’ennemis aussi actifs que les Prussiens, si confians dans leur force, et qui étaient venus sous nos murs avec la ferme conviction que Paris ne tarderait pas à tomber dans leurs mains. Dans les premiers jours de leur arrivée, nous les avons vus rôder d’abord autour de nos défenses, pareils à des loups affamés cherchant le point faible de la bergerie. Ils avaient l’air, en gens prudens qu’ils sont, de ne pas s’en rapporter aux innombrables études qu’on a dû faire dans toutes leurs écoles sur le siège de Paris ; ils paraissaient sonder le terrain pour découvrir quelque endroit moins bien gardé et moins bien armé que les autres. Ils s’imaginaient sans doute que, dans ce gigantesque réseau de fortifications, il se rencontrerait une maille moins serrée et moins solide, ou que peut-être l’immense matériel nécessaire à la défense de tant d’ouvrages ferait défaut quelque part. S’étant mis à remuer partout de la terre autour de nous, comme s’ils prétendaient nous attaquer partout à la fois, on les a vus abandonner successivement presque tout ce qu’ils avaient ébauché, comme si en réalité ils ne se fussent proposé que de tâter notre artillerie, d’en mesurer le calibre et la portée, de connaître enfin nos moyens. Quoi qu’il en soit, ils ont pu acquérir la preuve que sur aucun point Paris n’est dépourvu d’artillerie, qu’il en possède au contraire une très nombreuse, très puissante, très bien servie, et qui ne semble pas à court de munitions. Je n’ose croire que cette découverte les ait découragés : les Prussiens, quoi qu’on en dise, ne se découragent pas aisément ; mais toujours est-il que depuis ils ont évacué d’eux-mêmes ou abandonné