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Tout ce que Paris pouvait faire, il l’a fait en quelques semaines avec une constance, un calme, une énergie que personne sans en être témoin ne peut imaginer. Pas la moindre forfanterie, plus de cris, plus de bravades ; une résolution sérieuse se lit sur tous ces visages. Nous n’avions qu’une crainte, les démences démagogiques, les criminelles entreprises des clubs et des énergumènes. Peut-être même aurions-nous souhaité que le pouvoir vis-à-vis d’eux prît dès l’abord l’excellente attitude que nous lui voyons aujourd’hui ; mais le résultat nous suffit. Grâce au bon sens et à l’intelligence de la population parisienne, avertie par le bruit du canon, cette sorte de danger, cher à la Prusse et, je le crois, sa meilleure espérance, est désormais entièrement conjuré. Paris, sans se démentir, complétera son œuvre ; il ira jusqu’au bout, jusqu’au bombardement, s’il faut que nous l’endurions, — jusqu’aux privations les plus dures et les plus stoïques, si le triomphe n’est qu’à ce prix. C’est à la France maintenant d’achever la besogne. Qu’elle frappe un grand coup, sans rien précipiter, sans compromettre ses précieuses ressources imprudemment et au hasard. Mieux vaut nous imposer un surcroit de patience et ne pas risquer un échec qui serait pour le coup notre ruine.

Quoi qu’il arrive cependant, et quand le sort s’acharnerait à nous être contraire, quand la loterie des batailles nous refuserait encore ses faveurs, il est une conquête qui nous reste assurée : l’honneur est sauf, grâce à Paris. Nous ignorons ce que l’Europe, au-delà de l’épais rempart qui depuis un mois nous en sépare, pense, imagine et dit ; nous ignorons ce qui s’imprime à Londres et à Berlin à propos des affaires de France et d’Allemagne ; mais nous avons la plus entière certitude que le Times lui-même n’ose plus rire de nous ; et qu’il n’est pas sans laisser voir certaine appréhension sur le succès définitif de ses commanditaires.

Ne pensez-vous pas aussi, mon cher monsieur, que, sans beaucoup nous compromettre, nous pourrions également affirmer que, si la conférence de Ferrières devait se tenir aujourd’hui, il s’y prononcerait de tout autres paroles, et que nous n’aurions pas à reprocher cette fois au chancelier fédéral son défaut de modération ? Je crois que, s’il pouvait reprendre ses téméraires propos, il les paierait un beau prix.

Ne bornons pas là notre espoir : le trouble de nos ennemis devant notre attitude n’est pas ma seule consolation. Je pense à l’avenir, à notre chère France, et je me dis : Sortir vainqueurs de cette horrible crise, ce sera déjà bien, mais ce qui vaut mieux encore sera d’avoir racheté nos faiblesses passées : l’expiation sera complète, nous nous serons régénérés.


L. VITET.