Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/763

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se porter à l’ennemi d’un même élan, d’une même pensée, avec un patriotisme sans trouble, on serait allé à la défense avec des doutes et des craintes, avec le ressentiment des divisions intestines. La foi patriotique serait restée peut-être au fond de ce scrutin, ou elle s’y serait tout au moins refroidie, aigrie.

Qu’aurait donc pu faire pour la défense nationale cette commune ainsi élue ? Elle n’aurait rien fait par elle-même, et elle aurait paralysé toute action dans la main de ceux qui la dirigent aujourd’hui, parce qu’après tout on ne répond au canon que par le canon, à des soldats que par des soldats ou par des citoyens qui consentent à être momentanément des soldats, parce qu’il ne suffit pas de substituer à la puissance coordonnée de l’action militaire ce qu’on appelle pompeusement et puérilement le feu révolutionnaire. Rien qu’à observer les programmes des agitateurs, les symptômes, les signes précurseurs de la situation qui se préparait, il n’est pas difficile de se douter de ce qui serait arrivé tous les jours. On l’a vu presque un instant. Des gardes nationaux émettent la prétention de discuter avec leurs chefs les ordres qu’ils reçoivent, et en définitive de ne faire que ce qui leur plaît. M. Gustave Flourens se nomme lui-même colonel, donne sa démission, la retire, rassemble ses hommes, les fait parader en armes sur la place de l’Hôtel-de-Ville pour intimider le gouvernement, et tout cela pendant que le bruit du canon retentit jusque dans le cœur de Paris. Tandis que nos soldats sont aux prises avec les Prussiens, on manifeste ; au moment où l’ennemi prépare peut-être quelque surprise, on demande les élections et la commune. Ce qui serait arrivé, la belle question ! On se serait occupé du dedans plus que du dehors, de ce qu’on appelle les Prussiens de l’intérieur plus que des Prussiens du roi Guillaume ; on aurait continué à manifester dans tous les sens possibles, on aurait fini peut-être par quelque effroyable conflit, et les temps prédits par M. de Bismarck seraient infailliblement arrivés, parce que les villes ou les nations divisées sont l’inévitable proie de l’ennemi. La province, dégoûtée ou révoltée, eût laissé Paris à sa commune, à sa dictature révolutionnaire, à ses luttes stériles ; c’eût été pour le coup l’achèvement de la prédiction de M. de Bismarck, et des républicains se seraient chargés de préparer, pour le plus grand honneur de 1793, le dernier acte de la triste tragédie nationale commencée à Sedan ou à Wœrth.

Il y a heureusement dans les masses un instinct profond qui ne se trompe guère sur les grandes choses, sur les situations extrêmes. Il y a aussi dans les sentimens vrais, tels que le patriotisme, une puissance naturelle qui s’impose. La population parisienne ne s’y est pas laissé prendre longtemps, elle a compris bien vite qu’avant de s’occuper de constituer sa municipalité, elle avait à faire face aux Prussiens, et que surtout le meilleur moyen d’assurer sa défense n’était pas d’ouvrir la