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une sorte de suspension d’armes devant nos retranchemens, en la plaçant entre Paris invinciblement décidé à se défendre, inexpugnable derrière ses murailles, et les provinces soulevées jusque dans leurs profondeurs contre la brutalité d’une irritante invasion. Cela ne veut pas dire que la Prusse elle-même n’ait point profité de ce répit, elle en a profité pour appeler à elle toutes les forces que l’Allemagne a pu lui envoyer pour s’établir à nos portes, pour assurer ses positions. Il n’est pas moins évident que, malgré tout ce qu’il y a de pénible et de difficile dans une situation si imprévue, cette première phase du siège, cette première épreuve vaillamment supportée est plutôt favorable à Paris et à la France. Paris, il y a un mois, était déjà sans doute à l’abri d’une insulte, puisqu’on s’est bien gardé de brusquer cet assaut dont on parlait si complaisamment ; il n’était pourtant pas encore ce qu’il est devenu en ces quelques semaines, un vaste et formidable camp, hérissé de feu et de fer à toutes ses extrémités, bardé et barricadé au point d’être devenu inabordable pour toute attaque de vive force. L’armée régulière de défense, un peu émue d’abord de l’affreux désastre de Sedan, rassemblée à la hâte, presque découragée avant de combattre, a retrouvé bien vite, avec sa hardiesse native, sa cohésion et sa solidité devant l’ennemi. Ces braves gardes mobiles, qui sont l’élite de la France dans Paris, ont pris tout de suite l’allure de vieilles troupes, alliant la précision des mouvemens à l’entrain et à la bonne humeur courageuse. La population tout entière, encadrée dans ses bataillons de garde nationale, s’est faite au métier des armes et à la vie du rempart. En un mot, par l’activité du gouvernement, par le concours spontané de tous, la défense parisienne s’est rapidement constituée dans sa force et dans son intégrité. Elle est maintenant tout ce qu’elle peut être, en attendant les événemens qui peuvent la transformer en offensive.

Quant à la France elle-même, à la France non envahie et libre, si peu que nous communiquions avec elle, on ne peut évidemment douter qu’elle ne soit avec Paris d’âme, d’esprit et de résolution. Qu’a-t-elle pu faire depuis un mois ? dans quelle mesure a-t-elle organisé ses forces ? On l’apprendra peut-être seulement le jour de l’action, le jour où le reflux patriotique de la France sur Paris contraindra l’armée prussienne à tenter quelque grand coup pour se dégager. Le gouvernement ne dit pas tout probablement et ne peut pas tout dire. On sait du moins par lui que le temps n’a point été perdu jusqu’ici, que deux armées de 80,000 hommes se sont formées, qu’une troisième armée se prépare, que de vieux soldats d’Afrique, la légion romaine et les zouaves pontificaux eux-mêmes, qui n’ont plus à monter la garde autour du pape, sont arrivés, que le mouvement est universel. Un voyageur qui a traversé les lignes prussiennes pour rentrer dans Paris, et dont les curieuses pérégrinations ont été accompagnées de mille péripéties, racontait récemment