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intactes encore, si Paris enfin, avec ses 2 millions d’habitans, avec ses habitudes et ses raffinemens de civilisation, ou ses divisions intestines, pourrait tenir au-delà de quelques jours devant les audacieuses entreprises d’un ennemi enivré de victoires.

L’extrémité était terrible. Rien n’était perdu cependant, et c’est là justement ce qu’il y a de dramatique, de fortifiant dans cette palpitante histoire de quelques semaines. On ne s’est point abandonné ; on a laissé l’empire à son mauvais destin, et dans la liberté de son patriotisme Paris s’est tenu prêt à combattre, non plus pour une politique qui a écrit son épitaphe dans la capitulation de Sedan, mais pour l’indépendance, pour l’intégrité de la nation rendue à elle-même, pour son honneur à lui comme métropole glorieuse de la France et de la civilisation. On l’a menacé d’un siège, il a accepté les périlleuses chances d’un siège, et un mois s’est déjà écoulé depuis que l’ennemi, poussant en avant ses masses victorieuses, a cru pouvoir venir frapper à ses portes, dont il n’a pas encore la clé. Oui vraiment, il y a déjà tout près d’un mois qu’on en est là, que Paris assiégé et investi vit retiré en lui-même, s’accoutumant au bruit du canon qui tient les Prussiens à distance, et réduit à reconnaître Auteuil ou Saint-Denis pour frontière, après avoir étendu sur le monde le rayonnement de son génie et de son influence. Puisque la Prusse n’a point reculé devant cette pensée étrange qui pourrait fort bien être plus meurtrière pour elle que pour nous, Paris vit dans son camp, séparé de l’Europe, dont il ne connaît que l’inaction, ne sachant de la France elle-même qu’une chose, c’est que la nation tout entière est indubitablement à l’œuvre pour se replier sur l’envahisseur. Paris isolé et séquestré reste confiant dans l’insurrection patriotique du pays comme dans son propre courage, et, tout compte fait, dans ce drame terrible aux péripéties inévitablement sanglantes, il s’agit de savoir qui aura le dernier mot, de Paris et de la France cherchant invinciblement à se rejoindre à travers les lignes ennemies pour reconquérir leur indépendance, ou du roi Guillaume méditant des hécatombes humaines pour l’orgueilleuse et stérile satisfaction de venir chercher dans une ville en ruine la sanction de conquêtes sans durée comme sans moralité politique. Au fond, voilà toute la question qui s’agite dans ce siège, qui n’était point, à ce qu’il semble, une opération aussi simple qu’on le croyait à l’état-major prussien, puisque après avoir marché si vite on s’est arrêté subitement, puisque M. de Moltke et M. de Bismarck ont mis tout un mois à chercher notre point vulnérable, à savoir comment cette Allemagne campée sous nos murs pourra tout à la fois attaquer Paris et se défendre contre la France refluant en armes sur elle.

Le temps des illusions est sans doute passé pour nous, lorsque le drapeau blanc et noir flotte sur les hauteurs de Meudon et de Saint-