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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre 1870.

Non, en vérité, il n’est pas au monde de spectacle plus dramatique que celui d’une nation comme la France aux prises avec tous les périls, livrée par l’incurie en pâture à toutes les fatalités, se raidissant d’un énergique effort contre la fortune ennemie, et se ressaisissant elle-même pour disputer sa puissance et son honneur mis à mal. Quoi qu’il arrive désormais, ces trois mois qui viennent de s’écouler compteront dans notre histoire, et puisque la France n’y a point péri, nous avons le droit de garder l’espérance : c’est qu’elle ne doit pas, c’est qu’elle ne peut pas périr.

Ce qu’il y a de cruel, de poignant et d’étrange à la fois dans cette situation dont le commencement a été l’œuvre d’une légèreté sénile, dont la fin sera maintenant ce que le courage d’un peuple la fera, ce n’est pas la déception de l’orgueil militaire, ce n’est pas que notre armée ait trouvé des revers, d’incomparables revers, là où on lui promettait des victoires au pas de course. La guerre a des hasards pour tout le monde, ceux qui se laissent aller trop vite aux éblouissemens de l’épée sont exposés à être, un jour ou l’autre, blessés par l’épée. Non, ce n’est pas cela. Ce qu’il y a eu d’effroyable et de caractéristique, c’est que d’un seul coup, par le fait d’une politique d’égoïsme et de désorganisation invisible, la France se soit trouvée frappée en pleine puissance, en pleine vie, en pleine fécondité de ressources. Les hommes, l’argent, le courage, l’ardeur patriotique, rien ne lui manquait assurément de ce qui pouvait servir à réparer des revers ; seulement elle se sentait paralysée. On aurait dit un géant couché à terre, et dont un ennemi habile serait parvenu à enchaîner les membres. C’est à ce point qu’on en était déjà un moment à se demander avec une anxiété profonde si on allait avoir le temps de se relever, de se réorganiser, si le pays, ainsi pris au dépourvu, pourrait assez tôt rassembler ses forces éparses et ses ressources presque