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produire, et de ce que les consommateurs, l’état le premier, ne veulent pas les payer ce qu’ils ont coûté aux éleveurs. Les agronomes, les comices agricoles, ont mieux précisé ce qu’ils auraient voulu obtenir de l’administration des haras : ils demandaient que cette administration eût des étalons de races de trait. Dans le nord, on aurait voulu voir dans ses écuries des étalons boulonnais, dans le Poitou des baudets ou des étalons mulassiers ; mais est-ce pour cela qu’elle a été instituée ? Elle a un but essentiel à remplir, faire produire des chevaux de cavalerie, et c’est à ce point de vue seul qu’il faut apprécier son utilité.

De bons reproducteurs mâles sont nécessaires pour produire de bons chevaux ; ils forment un facteur de premier ordre au point de vue physiologique ; seulement ils ne constituent qu’un facteur secondaire au point de vue économique. Le prix de la saillie, quelque élevé qu’il soit, est insignifiant en comparaison de la valeur de la jument, du prix de son entretien et surtout de ce que coûte l’élevage d’un bon cheval de selle, et en second lieu, quand les éleveurs ont intérêt à produire une sorte d’animaux, ils savent toujours trouver des reproducteurs appropriés. Nous avons à cet égard un exemple concluant dans la production des mulets. Les ânes qui les engendrent se vendent assez communément 5,000 ou 6,000 fr., souvent beaucoup plus, et cependant la production mulassière n’a pas eu besoin pour prospérer que l’état se soit occupé de lui fournir des étalons. Il en est de même pour la production des chevaux de trait. Il y a plus : l’état fait tout ce qu’il peut pour la ralentir ; les prix, les primes, les courses, les haras pour fournir la saillie à prix réduit n’ont qu’un but : engager les éleveurs à produire des chevaux de selle et par conséquent à négliger l’industrie mulassière et la production de chevaux de trait.

Tous les encouragemens à la production des chevaux de selle sont donc restés sans effet. Une grande partie des éleveurs, on pourrait presque dire les plus sensés, n’ont pas voulu en profiter, et les hommes qui accordent une influence capitale au rôle des reproducteurs, voyant que les éleveurs négligeaient les étalons mis à leur disposition par l’état, ont conseillé d’employer des moyens de contrainte. Un arrêt, qui à la vérité n’a jamais été mis en pratique, ordonnait aux propriétaires de faire couper les baudets qui produisent les belles mules du Poitou : on aurait anéanti ainsi une industrie qui fait la prospérité de plusieurs départemens. Au commencement du siècle, une mesure semblable a été demandée pour les chevaux qui ne sont pas propres à donner de bons poulains ; il paraît même qu’elle a été mise en pratique dans quelques localités. Le comte de La Roche-Aymon nous l’apprend dans les termes suivans : « deux préfets ont eu le noble courage de faire couper tous