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Collin n’en avait pas moins le mérite de l’initiative, et la preuve qu’il y avait quelque courage à égratigner les hommes d’argent même après un changement de régime et huit mois de Bonaparte, c’est que la pièce rencontra de l’opposition.

Au reste, les financiers sont tout à fait épisodiques dans cet ouvrage, composé de peintures très générales et qui a pour titre les Mœurs du jour, ou l’École des jeunes femmes. L’héroïne de la pièce, une jeune étourdie dont la vertu est le point de mire d’une espèce d’incroyable, demeure chez son oncle, M. Morand, qui joue sur les fonds publics, prête sur gages et entretient un commerce secret avec les juifs. Autour de cet homme, très riche et travaillant avec acharnement à l’être davantage, s’agite un monde léger, frivole, corrompu : c’est un Paris nouveau où l’ancienne probité a disparu. Un des traits les mieux observés, c’est le contraste du financier et de son fils ; celui-ci met la même vitesse à dépenser que monsieur son père à s’enrichir. Quand il essuie des refus, il a un moyen assuré pour faire violence à l’épargne paternelle ; il sait pour quelle personne le vieux Crésus a des complaisances : une allusion lancée à propos fait tomber toutes les sévérités, les cordons de la bourse se délient comme par enchantement.

L’autre financier de la pièce est M. Basset, le subalterne, celui que le premier met en avant, et qui fait les commissions honteuses, Il est à la piste des héritiers pressés de vendre leur patrimoine, des joueurs en train de se ruiner ; il flaire les espèces sous toutes les formes, comme un limier lancé sur la bête, sachant qu’il aura sa part à la curée. Désormais nous trouverons de ces agens plus ou moins discrets, de ces financiers en second, dans la plupart des comédies modernes dont l’argent fournit le sujet, — financiers en second, quoiqu’ils soient les conseillers et les guides de ceux qui les emploient, enfans perdus de l’agiotage, travaillant au service de l’homme aux capitaux, parce qu’ils n’ont pas le nerf de la guerre, mais traînant après eux leur patron à la fortune ou à la déconfiture. Désormais les hommes d’argent au théâtre seront de deux sortes : ceux qui n’ont rien, mais qui ont bu toute honte et tentent les autres par les amorces du gain, et ceux qui possèdent, mais qu’une insatiable convoitise pousse à devenir les complices de ces maudits. On a vu dans un travail précédent que le Basset de Collin d’Harleville est un souvenir de l’ancien théâtre, au moins pour le nom et le physique du personnage. La comédie vit de ces emprunts, qu’elle change d’ailleurs et qu’elle renouvelle suivant les besoins nouveaux. A son tour Collin eut des emprunteurs parmi lesquels il faut compter Casimir Delavigne, qui a certainement pris dans les Mœurs du jour, non pas l’idée principale, mais le dessin presque entier et le