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j’ai l’honneur de rendre à votre majesté de la part du roi mon maître des témoignages publics de tous les sentimens qui l’attachent à votre personne. Les événemens d’une longue et terrible guerre n’ont rien pris sur l’amitié que les liens du sang lui ont inspirée (Anne était petite-fille d’Henriette, fille d’Henri IV), ni sur cette juste considération qui est due aux qualités personnelles, plus respectables que la majesté des titres et que toute la puissance du trône. Ces sentimens, madame, ont été mutuels, et l’intelligence qu’ils ont formée entre les deux couronnes a dissipé les partis, donné de nouveaux rois à l’Europe et affermi, si j’ose le dire, la gloire de votre majesté. Par les conditions dont elle a été l’arbitre, elle procure le bonheur de ses sujets, l’avantage de ses alliés, et couronne en même temps les grands et mémorables événemens de son règne, dont l’antiquité n’a point montré d’exemple, non pas même sur le trône où régna Elisabeth. La France, accoutumée à trouver dans les malheurs de la gloire et des ressources, n’en bénira pas moins les conseils de votre majesté. Elle a reçu avec de vives acclamations la nouvelle d’une paix dont la modération et la bonne foi, exercées de part et d’autre avec émulation, ont levé tous les-obstacles. Ces vertus, si rares et si étrangères dans les traités, ont été réciproques dans le cours de la dernière négociation, et elles sont devenues le présage d’une union ferme et durable qui dépose entre les mains de votre majesté et dans celles du roi mon maître la balance de toutes les puissances de l’Europe. »

Enfin toutes les difficultés de détail étant aplanies, ce grand traité d’Utrecht fut signé le 11 avril 1713. Le plénipotentiaire de l’empereur refusa d’y accéder et quitta la ville. Il y eut autant de traités séparés qu’il y avait de puissances contractantes, et c’est une particularité de ce grand acte diplomatique. A midi, les plénipotentiaires de France se rendirent chez ceux d’Angleterre et signèrent avec eux le traité convenu entre leurs souverains. Deux heures après, les plénipotentiaires de Savoie se rendirent au même lieu et signèrent leur traité avec la France sous la garantie de l’Angleterre, et successivement jusqu’à une heure du matin se présentèrent les plénipotentiaires d’Espagne et de Portugal, ceux du nouveau royaume de Prusse et ceux de Hollande, qui signèrent les derniers. Avec ceux-ci, on était convenu que, outre des avantages commerciaux, la Hollande recevrait en dépôt la portion des Pays-Bas appartenant jadis à l’Espagne, cédée depuis à la Bavière, mais que le congrès attribuait et réservait à la maison d’Autriche, lorsqu’il lui plairait d’adhérer à la paix. La question de la barrière était réservée pour être réglée plus tard. La France reprenait Lille et les places frontières qu’elle possédait avant la guerre. L’Espagne traitait avec l’Angleterre, à laquelle Gibraltar et Minorque étaient