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pour cela… » Tel était l’ascendant que le grand roi avait repris sur ses anciens ennemis après la victoire de Denain ; on n’aurait assurément rien vu de semblable avant le 24 juillet.

Lord Bolingbroke avait éprouvé une joie non dissimulée en apprenant la victoire de Denain et il s’en expliqua franchement avec M. de Torcy dans sa dépêche du 29 juillet. Cependant la correspondance entre ces deux hommes d’état sur tes deux questions de l’électeur de Bavière et du duc de Savoie prenait un caractère inquiétant. De volumineuses dépêches étaient échangées sans succès, elles sont des plus curieuses. Les plénipotentiaires d’Utrecht déploraient l’obstination anglaise et n’y voyaient, pas d’issue, lorsque Bolingbroke, voulant surmonter les obstacles et plein de confiance dans les ressources de son esprit, résolut de venir lui-même à Fontainebleau conférer avec le roi et M. de Torcy. « Je porterai moi-même la réponse à vos dépêches, mandait-il à ce dernier, la reine m’a commandé de me rendre à votre cour. ». Il fut accueilli en France comme un ange de paix. Sa noble et belle figure, ses qualités brillantes, sa générosité, lui concilièrent tous les esprits. Lorsqu’il parut au spectacle, où on l’avait annoncé, les spectateurs se levèrent pour lui marquer leur sympathie. Il fut reçu par le roi le lendemain de son arrivée ; il lui plut et en fut écouté, mais Bolingbroke rapporte que Louis XIV était fort ému, et que son trouble se manifestait par une volubilité qui le frappa, et qui contrastait avec ce qu’on rapporte communément de la gravité de ce monarque. Bolingbroke paraît aussi avoir beaucoup perdu, par le rapprochement, de l’opinion qu’il avait de M. de Torcy ; . il essaya même auprès de la mère de ce dernier une séduction de libéralité qui témoigne des habitudes anglaises de ce temps, habitudes auxquelles Walpole donna depuis une si grande célébrité. Mme de Croissi fit renvoyer au ministre anglais le gros sac d’argent qu’il avait fait déposer chez elle. Quoiqu’il ne soit resté que six jours à Fontainebleau, Bolingbroke eut le temps de ramener le cabinet de Versailles aux accommodemens que souhaitait la reine d’Angleterre. Il laissa Prior auprès du roi, qui avait beaucoup de goût pour lui, et revint en Angleterre continuer le règlement des détails, après être contenu des choses principales avec Louis XIV. Les renonciations des princes furent solennellement accomplies à Paris et à Madrid, et les deux cours, en l’état d’une négociation si avancée, s’envoyèrent réciproquement des ambassadeurs extraordinaires : celui de Louis XIV auprès de la reine Anne fut le duc d’Aumont.

Il fut reçu à Londres avec une grande solennité, et adressa le 15 décembre le discours suivant à la souveraine, en lui remettant ses lettres de créance : « Madame, c’est un moment bien illustre que celui-ci. Dans la plus heureuse et la plus brillante des conjonctures,