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III

Pendant que les esprits bien intentionnés s’appliquaient à résoudre une difficulté si capitale, la solution non moins grave de la question de Bavière et de la question de Savoie demeurait indécise, à la grande satisfaction des ennemis de la paix, qui entrevoyaient dans ce dernier débat quelques chances de rupture ; d’autre part on pouvait remarquer dans le camp des alliés, tout comme à Utrecht, une activité menaçante. A Utrecht, le parti autrichien était représenté par le comte de Sinzendorf, homme habile et passionné, dévoué au prince Eugène, et qui ne mettait péril à rien pour arriver à son but. Appliqué à découvrir tous les secrets de la négociation, rien ne lui coûtait pour en déjouer les projets. Il était secondé par un parti hollandais qui jouait le double jeu de ménager l’Angleterre pour participer aux bénéfices d’un traité avantageux, et de flatter les impériaux pour avoir leur compte dans la ruine promise de la monarchie française. Cette activité hostile se traduisait par un redoublement d’ardeur dans les opérations militaires : Le Quesnoy fut enlevé le 4 juillet 1712. Elle se manifestait aussi-par toute sorte d’intrigues. Je n’en citerai qu’une de nature odieuse, dont il n’y a trace, je crois, que dans la correspondance inédite de nos plénipotentiaires, et qui tendait à embaucher le duc d’Orléans dans une conspiration dont l’objet était de lui assurer immédiatement la couronne. Deux dépêches adressées à M. de Torcy ne laissent aucun doute à cet égard. Il ne paraît pas du reste que le séducteur qui avait promis succès à la criminelle proposition ait osé ou pu s’en ouvrir au duc d’Orléans lui-même ; mais l’audace du projet est incroyable.

L’entreprise sur Le Quesnoy mit le duc d’Ormond, successeur de Marlborough en Flandre, dans un grand embarras ; il devait y coopérer, et le prince Eugène voulut l’y compromettre. Celui-ci savait bien qu’il était prescrit au général anglais d’éviter de seconder les opérations des armées alliées, dût-il s’en tirer par des subterfuges. Lors donc que le prince proposa d’assiéger Le Quesnoy, le duc d’Ormond n’y fit pas d’objection ; mais, quand il s’agit de prendre position sur le terrain, il allégua que sa cour ne l’avait pas autorisé à concourir à cette expédition, et il resta en son camp dans une attitude inefficace sans doute pour le prince Eugène, bien que passivement nuisible à Louis XIV, qui, comme on s’en souvient, s’en montra irrité. Ce fut alors qu’une suspension d’armes fut signée entre la France et l’Angleterre, décidée à traiter toute seule s’il était nécessaire. L’exécution de cette mesure préparatoire le 17 juillet porta le prince Eugène à une agression plus prononcée, celle du siège de Landrecies, qui est du même jour. La