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collatérale de la maison de Bourbon, les d’Orléans, descendans d’Anne d’Autriche, soit à la maison d’Autriche elle-même, à charge de séparation. Depuis l’avènement de Philippe V, ce prince avait fait approuver par les cortès les dispositions de Charles II, et le droit éventuel de la succession royale espagnole était incontestablement fixé dans ce sens. « Ainsi, continuait M. de Torcy, M. le duc d’Orléans succéderait à Philippe V au défaut de M. le duc de Berry (frère cadet alors encore vivant de Philippe V) après l’option éventuelle de chacun de ces princes pour la couronne d’Espagne. Cette disposition pouvait assurer la séparation perpétuelle des deux monarchies. »

Lord Bolingbroke se hâta de répondre à M. de Torcy que l’expédient proposé ne convenait pas à la reine. En effet, disait-il, en supposant que le cas pût arriver où celui qui était en possession de la couronne d’Espagne aurait le droit de succéder à la couronne de France, qui pouvait assurer que ce prince ne se servirait pas de sa puissance pour conserver l’une et pour acquérir l’autre ? Ce serait une modération sans exemple. « Nous voulons bien croire, ajoutait-il, que vous êtes persuadés en France que Dieu seul peut abolir la loi sur laquelle le droit de votre succession à la couronne est onde ; mais vous nous permettrez d’être persuadés dans la Grande-Bretagne qu’un prince peut se départir de son droit par une cession volontaire, et que celui en faveur de qui cette renonciation se fait peut être justement soutenu dans ses prétentions par les puissances qui deviennent garantes du traité. » M. de Torcy avait placé la question sur le terrain du vieux droit public français, consacré par les parlemens ; lord Bolingbroke la plaça plus judicieusement sur le terrain du droit public inauguré par la révolution d’Angleterre dans l’Europe moderne.

L’échange de dépêches qui eut lieu sur cette question délicate atteste l’importance qu’on y attachait à Londres et à Versailles, et la difficulté d’une solution satisfaisante au point de vue de chacun. Au fond du cœur, Louis XIV hésitait à éloigner définitivement de la succession au trône de France son petit-fils Philippe V, et dans ce sentiment secret il avait pour complice Philippe V lui-même, ainsi que l’a bien prouvé la conspiration de Cellamare sous la régence du duc d’Orléans. Le roi désirait donc réserver à son petit-fils la faculté d’opter entre les deux couronnes. Assurer éventuellement le trône à M. le duc d’Orléans le séduisait peu ; mais il n’osait l’avouer, car il avait besoin de ce prince, qu’il ménageait sans avoir de la sympathie pour lui, bien qu’il ne crût pas au mal qu’on en disait. L’Angleterre voulait au contraire que l’option de Philippe V fût immédiate et irrévocable. C’est sur ce point qu’ont porté les débats et les conférences à Utrecht pendant deux mois. La discussion en était là,