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Pays-Bas à la disposition des Hollandais, en sorte qu’ils pourraient les garder pour eux-mêmes, s’ils le désiraient ; le roi d’Espagne, pour l’en dédommager, lui céderait le royaume de Sicile, que l’électeur posséderait avec celui de Naples, et de cette manière ce prince et les Hollandais auraient sujet d’être contens. Les Anglais le devraient être aussi de voir le port de Messine sous une domination dont ils n’auraient à craindre aucune liaison secrète avec les Hollandais. Le sieur Prior était persuadé, lorsqu’il vint à Fontainebleau, que la reine sa maîtresse comptait que les Pays-Bas retourneraient sous le pouvoir du roi d’Espagne ; mais il se trompait, et l’Angleterre ne consentira pas à laisser ces provinces entre les mains d’un prince de la maison de France. Toute autre disposition convient même beaucoup mieux au roi, car il est de son intérêt et de celui de son royaume que la bonne intelligence subsiste entre la France et l’Espagne, et les Pays-Bas, possédés par le roi catholique, produiraient des sujets de querelle et de division qu’il est de la prudence d’éviter. Il faut, s’il est possible, maintenir la cession faite en faveur de l’électeur de Bavière ; mais, s’il est du bien public qu’elle soit changée, la même raison demande que ces provinces soient données à la république de Hollande, ou qu’elles restent enfin dans le partage de l’archiduc, plutôt que de retourner sous l’obéissance du roi d’Espagne. Mais, en cas que l’une ou l’autre de ces deux dispositions eût lieu, le roi demanderait la démolition des fortifications de Luxembourg ; sa majesté a sujet de prétendre des barrières, quand toute l’Europe en demande contre la France, et rien ne serait plus juste que de raser une place qui ouvre l’entrée du royaume, sans donner aucune ouverture pour pénétrer en temps de guerre dans le pays ennemi. Il ne faut pas au moins avoir à se reprocher d’avoir négligé de faire une tentative que les susdits plénipotentiaires abandonneront, lorsqu’ils jugeront qu’elle pourrait être contraire à la conclusion de la paix. »

Il était une autre question qui tenait vivement à cœur à la reine Anne, et qui, heurtant les sentimens profonds de Louis XIV, faillit tout brouiller à Utrecht : c’était le règlement des intérêts du duc de Savoie. M. de Torcy et lord Bolingbroke y épuisèrent longtemps leur habile et bonne volonté sans parvenir à rapprocher leurs souverains sur ce point très délicat. Les instructions confidentielles de Louis XIV nous livrent encore à ce sujet la pensée intime du roi. Pour les comprendre, il faut se souvenir que depuis le commencement de la guerre de la succession la Savoie avait été envahie par la France, et qu’elle était encore en 1712 au pouvoir de Louis XIV, qui de son côté avait perdu Exilles et Fenestrelles, en Dauphiné. La maison de Savoie avait rendu de grands services à la coalition, elle y avait