Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fixer le sort des immenses domaines de la monarchie espagnole dans les deux mondes, de déterminer les limites de la France et de consacrer son unité territoriale ; enfin les questions de commerce y prenaient une importance qu’elles n’avaient jamais elle jusqu’à ce jour.

Quoique la durée des conférences d’Utrecht ait été moins longue que celle du congrès de Westphalie, elle n’en a pas moins été marquée par des incidens imprévus, aussi considérables qu’émouvans, et qui lui ont donné une couleur dramatique. J’ai sous les yeux la correspondance de Louis XIV avec ses plénipotentiaires pendant la négociation. En lisant ces belles dépêches, on ne saurait se défendre d’un sentiment d’admiration pour la grandeur calme et sereine du vieux roi. Ses lettres ne respirent pas seulement la fierté d’un monarque qui a donné son nom à un siècle ; elles expriment, en face d’injustes exigences, le sentiment profond du droit et la confiance religieuse dans son triomphe définitif. On éprouve même à cette lecture un sentiment national très prononcé. La passion qui a quelquefois égaré le grand roi était une passion de la France. Pour la satisfaire, on avait beaucoup lutté, beaucoup souffert, et nul en ce pays ne pouvait se résoudre à la reléguer au rang des chimères. Voilà le secret des sympathies et de la fidélité dont Louis XIV malgré ses fautes a été l’objet dans ses vieux jours, et que Denain a éclairé d’un reflet inattendu d’espérance et de gloire ; mais à travers les nobles inspirations percent les vieux mépris, les ressentimens vivaces de Louis XIV contre ses ennemis et parfois la velléité de reprendre ces airs de hauteur qui avaient soulevé l’Europe contre lui ; peu s’en faut même qu’après Denain il ne rompe encore en visière. Le bon sens de M. de Torcy pèse visiblement sur le roi, et les plénipotentiaires d’Utrecht secondent merveilleusement le prudent ministre. Louis XIV a des visions d’orgueil incroyables jusque dans ses calamités : il faut qu’on fléchisse son courroux en faveur des Hollandais, ses vainqueurs de la veille, et ses ministres, si bien persuadés des périls de la situation, ont soin de ménager ces sentimens du roi. Quoi qu’il en soit, ce langage imperturbablement hautain sur le bord même de l’abîme est d’un effet extraordinaire, et n’a d’égal que l’incomparable habileté avec laquelle la négociation fut conduite. Le roi lui-même parut s’y surpasser. Ce fut du reste la dernière grande affaire de son règne.

Il est bien vrai que les événemens politiques avaient changé de face pendant l’année 1711 malgré la persistance des succès militaires de la coalition en Flandre et en Italie. Le sort des armes n’avait point tourné de même en Espagne. A peine les tories arrivaient-ils au pouvoir que le général Stanhope était obligé (7