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son courage s’abattre et sa volonté s’amollir, car chacun savait que l’énergie morale décroissait en raison du nombre. Il n’y avait là, selon eux, qu’une vaine démonstration sans portée comme sans excuse.

Aux protestations du patriotisme blessé par ce langage, M. Thiers venait ajouter ses plus énergiques affirmations. « Je suis convaincu, disait-il, que tout grand peuple, quand son gouvernement lui donne l’exemple, se défend, que les masses d’hommes bien conduites ne sont jamais lâches, qu’il n’y a de lâches que les chefs, quand ils se retirent. Je sais qu’il y a des esprits forts qui veulent faire le monde à leur image, qui ne voudraient pas se défendre, et qui disent que Paris ne se défendrait pas. Je m’adresse à l’histoire, à l’humanité tout entière : il n’y a pas de peuple qui, lorsqu’un grand chef, avec un grand caractère, lui a donné l’exemple, ne l’ait pas suivi. Je suis convaincu que Paris se défendrait… Bien plus, je suis convaincu que, quand même nous le voudrions, nous n’empêcherions point Paris de se défendre. »

M. Thiers avait bien jugé la capitale. Depuis trente années, Paris a eu toutes les faiblesses, il a traversé des jours de folie, il a connu l’exaltation et l’abattement. Les murailles qu’on élevait en 1840 ont vu passer des monarchies, acclamer des princes, naître des républiques ; dans cette enceinte fortifiée, au milieu d’un calme plus funeste aux mœurs que toutes les agitations se sont développés les molles jouissances et ce besoin de luxe qui marque le déclin des sociétés. De toutes les parties du monde, la foule est accourue vers Paris pour y boire à la coupe des plaisirs, et il s’est trouvé des hommes pour s’applaudir d’un si honteux hommage. Qui aurait dit alors que la capitale contenait en elle-même de vrais citoyens ? Nous nous doutions bien qu’elle valait mieux que sa mauvaise renommée, mais personne n’aurait osé le proclamer quand elle semblait devenue la ville des fêtes et la patrie de l’insouciance, la Providence lui a permis de se racheter. Elle a montré qu’elle savait être calme sans défaillance et résolue sans forfanterie. Ce que nous espérions dans le secret de notre âme, il faut aujourd’hui le prouver à tous. Déjà nous pouvons jouir de la déception causée à la Prusse ; mais, encore une fois, n’oublions pas que nous devons cette revanche de l’honneur à notre ceinture de murailles, à ces bastilles tant calomniées et aux hommes d’état qui n’ont pas craint de se porter, par une prévoyance de génie, les cautions de nos courages.


George Picot.