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représenter comme des citadelles propres à étouffer les libertés publiques. Ces préventions s’étaient ranimées en 1841, et elles avaient trouvé, jusque dans la chambre des organes pour en faire un texte d’accusation contre le ministère. Il faut relire ce qui se disait sérieusement à cette époque pour avoir une idée des entraînemens de la passion. « Au lieu d’une bastille anéantie par la révolution, on osait en reconstruire toute une série pour bombarder Paris… C’était l’instrument le plus odieux de la tyrannie… Investir la capitale d’un pays libre avec de telles redoutes, il y aurait là plus que de l’imprudence, il y aurait une trahison à la liberté. » Pendant que les députés entendaient ces déclamations enflammées, et que la patience des orateurs s’épuisait contre des sophismes tellement dénués de fondement et de raison qu’ils ne pouvaient supporter la discussion, une partie de l’opinion commençait à s’émouvoir. Même dans les temps agités il existe à Paris des couches dans lesquelles ne pénètrent point les débats politiques. Étrangers par leur profession, leur goût, leur indifférence aux préoccupations extérieures, beaucoup d’hommes attendent, pour juger une question, qu’elle menace leur intérêt ou leur repos. L’opposition s’était ingéniée à réveiller leur torpeur en menaçant Paris de la transformation la plus effrayante. Placée par sa défense même sous le coup d’un siège, la capitale allait perdre en un instant tout ce qui faisait sa richesse et son charme. Plus d’industrie possible dans une place de guerre, plus d’entreprises commerciales dans une ville menacée devoir ses communications coupées, plus d’édifices somptueux, plus d’arts dans une cité qu’un bombardement pouvait anéantir. Puis, les têtes s’échauffant, on disait que la loi allait étouffer dans Paris le règne naissant de l’intelligence, que c’était un coup d’état contre l’esprit. On vit alors une coalition de tous les hommes, qui se laissent emporter exclusivement par l’imagination ; orateurs et savans, poètes et romanciers, tous ceux chez qui le bon sens ne maintenait pas dans un juste équilibre l’essor de la pensée, pleuraient d’avance sur les ruines de Paris en accusant les hommes d’état de démence.

Comme ces hommes d’esprit se trompaient étrangement ! Dans leur trouble puéril, ils ne voyaient que les légèretés de Paris, et ils n’apercevaient pas l’âme vivante de la patrie. En cela, beaucoup d’orateurs les imitèrent. Ils affirmaient que Paris ne pourrait se défendre ; cachant sous des raisonnemens subtils les terreurs d’une âme faible, ils rappelaient que le caractère français, prompt à l’attaque, est peu disposé aux longues résistances. Enfin, étendant leurs découragemens à toutes les grandes villes, ils soutenaient, comme naguère encore les journaux de Londres, qu’une agglomération d’un million d’âmes n’était pas capable de résister. Sans nouvelles de l’Europe, sans correspondance du dehors, Paris verrait