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Au dehors, l’opposition se calmait de jour en jour. Il devenait de plus en plus évident que les forts ne pouvaient être dirigés contre la population parisienne. Le sentiment patriotique du gouvernement était moins calomnié ; on comprenait qu’il y avait là une entreprise digne de la France. Du fond de sa retraite de Lorraine, le général Drouot, adhérant au projet, offrait au besoin sa fortune pour l’exécuter. Dans toutes les cours, les représentans de la France suivaient avec émotion les impressions des cabinets et des hommes de guerre ; nulle part on ne demeurait indifférent, et ce travail, qu’on avait longtemps jugé impossible, devint l’objet de l’attention universelle quand on put se convaincre que l’entreprise serait menée à bonne fin. Tous les militaires s’accordaient à penser que la ville devenait imprenable. Cette opinion, qui réunissait la presque unanimité des officiers, rencontrait au-delà de nos frontières un précieux assentiment. Le comte Bresson arrivait de Berlin pour rapporter à la chambre des pairs combien était grande la valeur attribuée à nos projets par les généraux prussiens. Le duc de Wellington disait à M. Guizot que les fortifications de Paris avaient rendu un grand service à l’ordre européen. Enfin l’écho de cette opinion générale sur le continent est encore arrivé récemment jusqu’à nous. Un écrit émané d’un officier de l’état-major prussien nous expliquait, il y a trois ans, avec une audacieuse franchise, la tactique que suivrait une invasion allemande. Il nous montrait les armées envahissantes poussant leur marche victorieuse du Rhin à la Seine ; puis, arrivé là, il s’arrêtait et ajoutait avec une inquiétude mal dissimulée : « Pourront-elles jamais briser la résistance qu’on leur opposera dans l’attaque de ces immenses camps retranchés dont le siège sera au moins aussi pénible que celui de Sébastopol ?… Des secours de toute nature pourront être dirigés de l’intérieur sur la capitale, et à moins d’une écrasante supériorité du nombre il paraît presque impossible de s’en emparer par la force des armes et de se rendre ainsi maître de la France. Paris ne sera jamais en notre pouvoir, à moins que des circonstances politiques ou des raisons d’un ordre moral n’obligent les défenseurs à nous en ouvrir les portes[1]. »

L’état-major prussien avait raison : c’est aux forts et aux murailles qu’il appartient en ce moment de défendre la France. Souvenons-nous en combattant de ceux qui jadis ont pensé à nous préparer de telles armes. C’étaient de vrais patriotes auxquels l’histoire doit réserver une grande place, car c’est à eux que nous devons les seules forces qui nous protègent dans notre détresse : la Belgique, qui a mis nos villes du nord à l’abri du premier flot de l’invasion, et les remparts de Paris, qui peuvent sauver la France.

  1. Considérations sur les défenses naturelles et artificielles de la France en cas d’une invasion allemande, Paris 1867, p. 15