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conciliation entre deux plans dont la valeur s’était ainsi doublée, il ne pouvait déplaire qu’aux esprits obstinés qui mettaient leur confiance en un seul système à l’exclusion de tout autre. Les partisans de bonne foi de l’un ou l’autre projet étaient contraints de reconnaître que dans l’adjonction du système opposé se trouvait un complément utile à leurs idées. Pouvait-on nier sérieusement, quand on soutenait l’utilité des forts, que l’enceinte bastionnée ne fut une garantie de plus ? Au point de vue stratégique, les défenseurs de l’enceinte continue pouvaient-ils affirmer que les forts, protégeant le rempart dans un rayon de 2,000 mètres, fussent une défense superflue ? La combinaison adoptée par le gouvernement réduisait donc à des proportions insignifiantes la discussion technique. Dans de telles conditions, un siège semblait impossible ; on démontrait, par des calculs dont l’exactitude n’était pas douteuse, que chacun des forts présentait le même pouvoir de résistance que la citadelle d’Anvers. Cette série d’ouvrages, en protégeant la place, étendait démesurément la ligne d’investissement. On fixait à 22 lieues le développement que devaient présenter les troupes assiégeantes qui voudraient bloquer Paris. Comment croire qu’une armée, quelle que fût sa force, pût relier ses différens corps sur une telle étendue ? Comment imaginer surtout qu’elle pût se maintenir tout en tenant tête à une armée de secours opérant sur ses derrières ? Aucun homme compétent ne le soutint à la chambre des pairs.

Dès que le débat contradictoire eut éclairé la véritable nature du problème, la lumière se fit, et le triomphe du projet ne demeura douteux pour personne. La discussion se prolongea plusieurs jours. M. le duc de Broglie prononça le discours le plus complet que la chambre des pairs eût entendu, répondant à toutes les critiques avec une profondeur admirable. Cet ensemble de prévisions semble fait pour nos malheurs. Dieu veuille que les espérances entrevues par la perspicacité de l’homme d’état se réalisent, et qu’elles justifient sa confiance dans l’œuvre qu’il conviait ses collègues à voter ! Les principaux membres du ministère prirent part à la lutte : ni les efforts sincères du maréchal Soult, qui voyait la fortune du cabinet attachée au triomphe du nouveau système, ni le langage pacifique et fier de M. Guizot, ni la parole éloquente et ferme de M. Duchâtel, ne manquèrent à la loi, qui sortit sans une seule atteinte de cette dernière épreuve[1].

  1. Nous laissons de côté plusieurs débats qui s’élevèrent par la suite, entra autres celui de 1844 soulevé par des pétitions demandant la démolition des forts détachés. Écho passionné des débats de 1841, il ne servit qu’à faire repasser devant l’opinion publique une série d’attaques surannées auxquelles la chambre ne s’arrêta point. Les défenseurs des fortifications ne laissèrent pas échapper cette occasion d’expliquer leur œuvre et de confondre les attaques dont elle avait été l’objet. Voyez les Moniteurs des 25 février, 3 et 9 mars 1844.