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protection efficace, la seule qui pût retarder, affaiblir et entraver un ennemi victorieux. C’était non-seulement une entreprise inutile, mais une œuvre éminemment dangereuse : on appelait l’invasion au centre de la France en indiquant à l’ennemi les murs de Paris. On allait convertir en champ de bataille nécessaire une de ces villes où se concentrent les prodiges de l’industrie, les chefs-d’œuvre de l’art, les produits et les lumières de la civilisation.

À la chambre des députés, ce raisonnement, digne de séduire l’imagination d’un poète, avait été combattu par l’expérience consommée d’un historien. Il fut reproduit et réfuté de nouveau à la chambre des pairs. Pouvait-on nier que Napoléon n’eût changé l’art de la guerre ? Désormais les mouvemens rapides d’une armée en campagne déjouaient les lents calculs et les efforts prolongés des anciens généraux. La nouvelle tactique voulait courir au but, frapper au cœur et porter les troupes à marches forcées vers le centre de l’empire, au point où la puissance réside et d’où part le commandement. Plus le pouvoir est centralisé, plus il est indispensable de diriger ses coups vers ce principe de l’activité sociale. C’est un fait que l’histoire démontre et qu’avant elle le bon sens suffit à enseigner. Ce qui est vrai pour tous les centres d’empire est plus juste encore pour Paris, que sa situation géographique désignait comme la capitale nécessaire de notre territoire, et qui se trouve exposé aux invasions ennemies par le rapprochement de la frontière et par la direction des vallées, qui semblent faites pour amener l’étranger vers ses murs. Toute agression sérieuse devait donc avoir Paris pour but ; d’ailleurs il faut toujours que la défense aussi bien que l’attaque soient portées au point le plus important du pays. C’est là que se décide le sort des empires. « Non assurément, disait éloquemment le duc de Broglie après avoir énuméré les longs sièges et les marches lentes du XVIIIe siècle, non assurément l’art de la guerre n’en est plus là de nos jours. Nous avons enseigné à l’Europe les guerres d’invasion, et l’Europe n’a pas oublié nos leçons. Pensez-vous que les choses se passeront comme en 1792 ? qu’après avoir franchi nos frontières, les armées alliées s’arrêteront devant une poignée de braves retranchés dans les défilés de l’Argonne, ou se retireront au bruit d’une canonnade de Valmy ? Non encore ; l’exemple de 1814 et de 1815 parle trop haut pour cela ; ce qui leur a réussi en 1814 et 1815, ils le tenteront de nouveau ; ils masqueront avec des corps détachés les places fortes de notre frontière, faites ou à faire, celles que nous possédons déjà et celles que nous méditons en ce moment ; le gros de leur armée marchera droit sur Paris, bien certains, s’ils y parviennent, d’y trouver cette fois les clés de Metz et de Strasbourg, comme ils ont trouvé celles de Landau, sans avoir besoin de les aller chercher sur la brèche ; bien certains d’y trouver avec