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rapport auquel nous avons fait divers emprunts, et qui était appelé à déterminer le sentiment des chambres.

La discussion générale, ouverte le 21 janvier, fut close le 26. Dès le début, toutes les attaques qui pouvaient être dirigées contre la pensée du gouvernement se retrouvèrent dans la bouche de M. de Lamartine, qui sut revêtir du plus admirable langage une série de sophismes indignes de son talent. À relire ce style de feu, on se sent tour à tour séduit et attristé ; c’est bien le grand orateur aux images poétiques, mais on y devine déjà je ne sais quels entraînemens avant-coureurs d’autres faiblesses, et l’on entrevoit un esprit prêt à tout sacrifier aux séductions de la popularité. Après Lamartine, M. Garnier-Pagès se montra l’adversaire le plus vif des fortifications. Enfin M. Béchard, au nom des légitimistes autant que comme défenseur personnel de la décentralisation, s’éleva contre les dangers d’une mesure qui renfermait dans Paris le sort de l’indépendance nationale. Le maréchal Soult avait dans toute cette affaire une position qui n’était pas exempte d’embarras. Arrivé au ministère depuis quelques semaines, il avait trouvé les plans arrêtés et les travaux entrepris. Il se serait contenté d’un camp retranché sous Paris, mais le ministère précédent lui avait légué davantage. Il accepta la responsabilité du nouveau projet, non sans laisser entendre ses préférences, et en corrigeant cet aveu imprudent par ce mot souvent répété, « qu’il aurait tort de se plaindre, puisqu’en réalité on avait doublé la dot. »

Tout l’intérêt de la discussion générale se concentra sur l’influence que cette entreprise allait exercer au point de vue des relations de la France avec les états du continent. Le gouvernement qui présentait la loi et les députés qui la soutenaient se mettaient sans cesse en présence d’une guerre européenne, d’une coalition menaçante, d’armées victorieuses franchissant la ligne de nos frontières. Ce raisonnement, répliquait-on, n’est plus de notre temps. Il convient aux esprits brouillons et aventureux qui sont prêts à bouleverser le monde au gré de leurs passions ou de leurs caprices ; mais l’ère des longues luttes est fermée. S’il est un moyen assuré de la rouvrir et de faire couler en Europe des flots de sang, c’est d’adopter cette politique turbulente qui commence par des armemens de toute sorte, entoure Paris de remparts, et se prépare à soutenir ainsi les luttes qu’elle aura suscitées.

Ce fut à M. Guizot que revint naturellement l’honneur de réfuter ces soupçons et de désavouer la politique de provocation qu’on lui prêtait. Il rassura la chambre et lui démontra qu’il ne s’agissait pas d’entraîner le gouvernement dans des menées belliqueuses contraires à « cette politique de paix, de civilisation tranquille et régulière » que les partisans du nouveau ministère avaient toujours proclamée