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raisonnant sur une population de 800,000 âmes, Vauban reprend le cours de ses prévisions militaires et politiques, les seules qui sollicitent en ce moment notre attention.


« Cela une fois établi, dit-il, et la place munie de 1,800,000 à 2 millions de poudre, de 400 pièces de canon, de 60,000 à 80,000 mousquets et fusils dans les magasins et d’autres armes à proportion, outre celles que les particuliers auraient chez eux, si, dans un temps que toute la terre serait liguée contre vous, il arrivait que la frontière fût forcée et la ville en péril d’être assiégée, quelque malheur qui pût arriver à nos armées et au surplus du royaume, il est probable qu’elle ne serait jamais tellement défaite, que le roi ne fut toujours en état de retirer 25,000 à 30,000 hommes dans l’entre-deux des enceintes, auxquels Paris en pourrait joindre 8, 000 à 10, 000 d’assez bonnes levées dans l’enclos de ses murailles, sans toucher à la garde ordinaire des bourgeois, qui ne laisserait pas d’aller son train ; moyennant quoi, j’estime qu’il n’y a pas dans la chrétienté d’armée, quelque puissante et formidable qu’elle pût être, qui osât entreprendre de bombarder Paris, et encore moins de l’assiéger dans les formes, vu : 1° qu’il ne lui serait pas possible de l’approcher d’assez près pour pouvoir tirer des bombes jusque dans l’enclos de la ville, à cause de la deuxième enceinte, qui les tiendrait éloignés à trois grands quarts de lieue de la première ;

« 2° Qu’il ne serait pas possible à une armée de 200,000 hommes de la prendre par un siège forcé à cause de l’étendue de sa circonvallation, qui, ayant 12 à 13 grandes lieues de circuit, l’obligerait d’étendre fort ses quartiers, qui en seraient par conséquent affaiblis, et à se garder partout également, sous peine d’en voir enlever tous les jours quelqu’un ;

« 3° Qu’il ne pourrait entreprendre deux attaques séparées, puisque, pour pouvoir fournir à la garde des tranchées, il faudrait employer plus de 30,000 hommes, sans compter les travailleurs et gens occupés aux batteries ;

« 4° Qu’on ne pourrait point le faire par deux attaques liées, attendu que, pour pouvoir fournir à la même garde, il y aurait tels quartiers qui auraient trois journées de marche à faire et autant pour s’en retourner, ce qui les mettrait dans un mouvement perpétuel qui ne leur laisserait aucun repos ;

« 5° Que dès le douze ou quinzième jour de tranchée, pour peu qu’il y eût eu d’occasions, leurs forces seraient considérablement diminuées et leurs troupes obligées de monter de trois à quatre jours l’un, auquel cas elles ne pourraient pas relever à cause de l’éloignement des quartiers ; à quoi il faut ajouter que les fréquentes sorties, grandes et petites, qui se feraient à toute heure par de si grandes troupes, le grand feu qui sortirait des remparts, et chemins couverts et la grande quantité de canons dont elle pourrait se servir empêcheraient les travailleurs de