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entretenu avec l’Alsace d’étroites relations, de faire rougir les Allemands de leur inhumanité et d’adoucir le sort de Strasbourg. Beaucoup de citoyens suisses dont nous ne saurions trop honorer la généreuse initiative, aussitôt qu’ils apprirent ce que souffraient les Strasbourgeois, formèrent un comité pour les secourir. Le conseil fédéral, entraîné par l’opinion, donna lui-même à cette manifestation purement privée le caractère plus élevé d’une intervention diplomatique en décidant le 7 septembre que des délégués seraient envoyés à Strasbourg pour s’entendre avec le général en chef de l’armée allemande et le commandant de la place sur les moyens de faire passer en Suisse la population civile de la place assiégée. On arrêta également que les bagages des habitans de Strasbourg seraient affranchis des droits de douane à la frontière, et, ce qui met le comble à la générosité du gouvernement helvétique, que les cantons prendraient à leur charge l’entretien des réfugiés nécessiteux. En témoignant à la noble république toute notre reconnaissance pour des procédés si humains, nous ne pouvons nous empêcher de penser avec tristesse à l’inaction de quelques puissances qui nous devaient davantage, pour lesquelles nous avons versé notre sang dans des jours plus heureux, et qui aujourd’hui regardent nos désastres avec indifférence ! Qui nous eût dit le lendemain d’Inkermann et le lendemain de Solferino qu’un jour l’Angleterre et l’Italie assisteraient à nos malheurs non-seulement sans tirer l’épée pour nous défendre, mais sans même essayer de suspendre par une action diplomatique la marche de nos ennemis ? Un mois encore après les effroyables désastres du bombardement, Strasbourg résista. Contre l’attente du général de Werder, la souffrance avait irrité les courages au lieu de les abattre. Sous la menace des obus, au fond des caves, personne ne demandait à capituler. On avait tant souffert qu’on défiait le malheur. Et cependant au prix de quelles nouvelles épreuves le siège se prolongea-t-il ! Nous le devinerons d’après le témoignage d’une dame russe qui, sortie de Strasbourg le 4 septembre, annonçait à un journal anglais qu’il ne restait plus dans la ville que pour huit jours de vivres. Nous apprendrons un jour par quels prodiges d’énergie une population, à laquelle le pain devait manquer le 12 septembre, a pu tenir jusqu’au 28. Nous saurons aussi tout ce qu’ont fait à plusieurs reprises le général Uhrich, son intrépide garnison et les habitans armés pour percer les lignes ennemies. Le 3 et le 9 septembre, de sanglantes sorties avaient été tentées. Le 27 encore, avant de capituler, les assiégés essayaient jusqu’à trois fois de se frayer un passage. Ils ne se sont rendus qu’après avoir épuisé leurs vivres, leurs munitions, et perdu sous le feu plus de 4,000 des leurs.