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Si, comme on le craint, rien n’a réchappé à l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg, de précieuses collections sont à jamais perdues pour la science, entre autres six cents volumes imprimés en Alsace dans la première période de l’imprimerie, une série de portraits des professeurs de l’université, les antiquités égyptiennes, grecques, romaines, allemandes, recueillies au dernier siècle par le savant Schœpllin et léguées par lui à l’Alsace, enfin des manuscrits en très beaux caractères dont quelques-uns même étaient uniques. Le bibliothécaire Iung avait adressé, il y a vingt ans, au ministère de l’instruction publique un catalogue détaillé de ces manuscrits pour faire partie d’une collection générale des catalogues qui devait comprendre tout ce que les bibliothèques des départemens contiennent de travaux antérieurs à l’imprimerie. On saura exactement par là ce que vient de perdre Strasbourg et dans quelle mesure il serait possible d’y suppléer. Espérons du reste que le bibliothécaire actuel aura mis en sûreté dans les caves les objets les plus rares, surtout la vaste encyclopédie, enrichie de peintures précieuses, connus sous le nom de Mortus deliciarum, et composée par Herrade, abbesse de Landsberg. C’était son devoir de se préparer au bombardement et d’en prévenir les suites depuis le jour où les premiers obus sont tombés sur la ville. Il n’aurait d’autre excuse que sa trop grande confiance dans la générosité des Allemands. Avertis de ce que nous pouvons craindre par le sort de Strasbourg, les directeurs des établissemens scientifiques et littéraires de Paris ne comptent que sur eux-mêmes, non sur l’humanité de l’ennemi, pour sauver leurs richesses.

La terrible nuit du 24 août ne détruisit pas seulement dans la ville assiégée la bibliothèque et les bâtimens voisins. Une maison historique, la maison Scheidecker, la rue du Dôme, le musée de peinture, l’arsenal, la moitié du quartier de la Krutenau, prenaient feu en même temps. La nuit suivante, les cris du guetteur annonçaient à la ville épouvantée qu’un nouveau et plus terrible malheur la menaçait. La cathédrale elle-même, l’honneur et l’orgueil de Strasbourg, s’enflammait sous les coups répétés des obus allemands. Le feu éclatait dans la charpente de bois qui s’étend depuis l’emplacement de l’ancien télégraphe jusqu’à la nef. Le toit de zinc qui recouvre cette charpente fondait sous la violence de l’incendie, et en présence de la population impuissante lançait des tourbillons de flammes blanches au-dessus de la plate-forme jusqu’à la flèche. Le lendemain, des fragmens de colonnes, des statuettes, des pierres énormes détachées de l’édifice, de nombreux débris d’ornemens d’architecture, jonchaient la place du Dôme. Quand le bombardement se ralentit les jours suivans, et que l’on compta les blessures