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La marche rapide des Prussiens les expose en effet à un grave danger : plus ils pénètrent en France, plus leur ligne s’étend et s’affaiblit. De Strasbourg à Paris, ils ont à garder cent trente lieues de terrain en ligne droite, sans compter ce qu’ils emploient de troupes au siège de Bitche, de Phalsbourg, de Metz, de Thionville, de Longwy, de Verdun, Montmédy, Mézières et Soissons. Depuis le commencement de la campagne, ils ont marché au plus pressé, allant droit devant eux, comptant sur la rapidité foudroyante de leur marche pour nous imposer des conditions de paix, négligeant tous les points secondaires et ne s’écartant de leur route que pour s’approvisionner. Cette tactique a réussi par la faute de nos généraux autant que par l’habileté des généraux ennemis ; mais si le sud-est de la France, de Lyon à Béfort, si la Bourgogne et la Franche-Comté font un effort énergique, des corps d’armée hardis peuvent se jeter sur la gauche de l’armée prussienne, et dans ce long espace de cent trente lieues détruire sur plusieurs points ses communications avec l’Allemagne. Au fond, nos ennemis n’ont ainsi étendu leur ligne de bataille que pour atteindre avant l’hiver des résultats importans, pour frapper des coups qu’ils considéraient comme décisifs. Strasbourg, Metz, Sedan, qu’ils n’avaient point l’intention d’attaquer, mais où les fausses manœuvres de nos généraux leur ont offert l’occasion d’une victoire inespérée, enfin Paris, où depuis le début de la campagne ils espèrent signer la paix : voilà les points sur lesquels ils ont concentré leurs forces sans se laisser distraire — autrement que par les nécessités de la stratégie — de leur marche directe et rapide vers le cœur de la France. Toute opération qui s’écartait de ce chemin les détournait de leur but. S’ils s’acharnent autour de Bitche et de Phalsbourg, s’ils ont tenu à emporter Toul, s’ils assiègent Montmédy et Verdun, c’est que toutes ces places gardent des passages, des lignes de chemin de fer, et retardent la marche de leurs convois, de leurs renforts, de leur matériel de siège.

Depuis Ramberviller, au pied des Vosges, jusqu’à Melun, on tracerait une ligne presque droite par Charmes, par Neufchâteau, par Vassy, par Nogent-sur-Seine, au sud de laquelle leur aile gauche n’est presque jamais descendue. Ceux qui marchaient vers Paris se maintenaient rigoureusement dans ces limites pour ne pas éparpiller leurs forces. En Alsace, ils se tenaient à la même hauteur, ne se dispersaient pas, et, sans perdre de temps, se portaient sur le point qu’ils voulaient emporter, sur la ville de Strasbourg. Le 9 août, ils exploraient les environs de la place, et le 13 ils l’investissaient complètement. On s’y trompa d’abord dans la Haute-Alsace, on se crut menacé, on annonça que l’ennemi marchait sur Colmar et sur Mulhouse. Une sorte de panique se répandit même dans la première