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des ponts, des canaux, enlèvent des fils télégraphiques ou des rails de chemin de fer, rendent les routes impraticables, mettent le feu aux munitions, aux vivres, aux quartiers occupés par les troupes, prennent les armes contre les troupes allemandes. Pour chaque cas spécial, il sera institué un conseil de guerre qui examinera la cause et prononcera. Le conseil de guerre ne pourra prononcer d’autre peine que celle de la mort ; la sentence sera suivie immédiatement de l’exécution. Les communes auxquelles appartiennent les coupables, ainsi que celles où le crime aura été commis, seront condamnées à une amende qui équivaudra au chiffre de leur impôt annuel. »

Tel est le sort que la Prusse réserve aux habitans des villes et des villages français qui se défendent. S’ils ne se défendent pas, on veut bien leur accorder la vie, mais à quelles conditions ? « Les habitans, dit encore la proclamation royale, auront à fournir tout ce qu’exige l’entretien des troupes. Chaque soldat devra recevoir par jour 750 grammes de pain, 500 grammes de viande, 250 grammes de lard, 30 grammes de café, 60 grammes de tabac, cinq cigares, un demi-litre de vin, ou un litre de bière, ou un décilitre d’eau-de-vie. La ration d’un cheval, car il faut aussi nourrir les chevaux est fixée par jour à 6 kilos d’avoine, 2 kilos de foin, 1 kilo 1/2 de paille. Si les habitans préfèrent une indemnité en argent aux impositions en nature, ils devront donner 2 francs par chaque soldat. » Le vainqueur, on le voit, se pique de générosité ; à défaut de vivres, il accepte de l’argent.

Au fond, ce manifeste, que le gouvernement impérial eut le tort de laisser publier sans protestation, n’accorde aux citoyens français aucun des droits de la guerre et leur en laisse toutes les charges. Il est vrai que dans un dernier paragraphe, le roi de Prusse ajoute, comme pour adoucir la rigueur des prescriptions qui précèdent : « On ne pourra réclamer aux habitans que ce qui est indispensable à l’entretien des troupes. Des bons seront délivrés officiellement à cet effet. » Vaine et illusoire garantie ! rien de plus précis et de plus rigoureux que les exigences prussiennes, rien de plus vague que ce prétendu adoucissement. Qui donc jugera ce qui est indispensable aux troupes ? Tiendra-t-on compte en même temps de ce qui est indispensable aux habitans ? car enfin, si les troupes prussiennes réclament le droit de vivre, il faut bien que les habitans vivent aussi. S’occupera-t-on de savoir si les ressources du pays répondent aux besoins de l’armée ? si, quand on aura donné tout ce que demande la proclamation, il restera quelque chose aux villes et aux villages rançonnés ? Pensera-t-on aux nécessités de l’avenir, à ce que les habitans ont besoin de conserver chez eux pour