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lequel le gouvernement français aurait dû protester à l’origine au nom des lois internationales. La meilleure manière de rendre vaine la prétention des Prussiens eût été de donner un fusil et un uniforme à chaque citoyen. Cette précaution n’ayant point été prise et ne pouvant plus l’être dans les provinces envahies, il fallait opposer au code militaire de la Prusse le droit primordial qui appartient à chaque citoyen de défendre sa propriété, sa maison, son champ, contre l’invasion de l’étranger. Aucun combat n’est assurément plus légitime que celui qu’on livre pour la défense de ce qu’on possède. Vainement les philanthropes diraient-ils, comme le font quelques théoriciens de l’Allemagne, que le système prussien adoucit les maux de la guerre en les limitant aux armées belligérantes, en épargnant les populations civiles. Un tel langage ne convient point à une nation qui fait un soldat de chacun de ses citoyens, et qui, au moment où elle s’arme tout entière, prétendrait refuser le même droit à ses ennemis. On ne pourrait d’ailleurs le croire sincère que si ceux qui le tiennent s’engageaient en même temps à n’imposer aucune charge aux populations civiles. Dès qu’on demande à celles-ci quelque chose, on leur donne évidemment le droit de refuser ce qu’on exige d’elles ; dès qu’on touche à leur propriété, on ne peut leur prescrire de se laisser dépouiller sans se défendre.

En un mot, les Prussiens affichent deux sortes de prétentions absolument inconciliables : d’une part, ils prétendent au nom de l’humanité, pour verser le moins de sang possible, ne pas vouloir traiter en ennemis les populations civiles, et leur refuser par conséquent la qualité de belligérant ; d’autre part, ils leur enlèvent, en vertu du droit du vainqueur, tout ce qui peut servir aux besoins et même au bien-être de leur armée. Ils les excluent du droit de la guerre dès qu’il s’agit pour elles de se défendre ; mais ils leur appliquent ce même droit avec la dernière rigueur dès qu’il s’agit pour elles de payer. Ils ne leur laissent en réalité qu’un privilège, celui d’être rançonnées. Une proclamation du roi de Prusse, publiée le 17 août par la Gazette de Francfort, établit très nettement la situation que la guerre fait aux habitans. S’ils se permettent le moindre acte d’hostilité contre les troupes prussiennes, on leur promet le conseil de guerre et la mort. Si au contraire ils accueillent pacifiquement les soldats, on met à leur charge tous les frais de l’entretien de l’armée. La mort ou la ruine, voilà l’alternative que leur offre le roi. « Seront punis de mort, dit la proclamation, toutes les personnes qui, sans appartenir à l’armée française, servent d’espion à l’ennemi, donnent de fausses indications aux troupes allemandes en leur servant de guides, tuent ou pillent des personnes appartenant à l’armée allemande ou à sa suite, détruisent