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les actes de courage qu’elle vient d’accomplir pour ne pas se séparer de nous, pour demeurer française sous le canon prussien.

Les fausses nouvelles se répandent si facilement en France et y trouvent tant de crédit que notre premier soin doit être de démêler la vérité au milieu de récits souvent contradictoires. Nous n’accepterons donc que les faits certains et prouvés, nous écarterons avec intention les détails douteux, lors même que ces détails, plairaient à notre imagination ou flatteraient notre patriotisme. L’histoire doit se défendre de la crédulité aussi bien que des passions populaires. Du reste la vérité toute simple fait trop d’honneur à nos concitoyens de l’Alsace pour que de faux ornemens ajoutent quelque chose à l’unanime sympathie, au respect qu’inspire leur conduite.


I

Nulle part dans notre pays, la déclaration de guerre ne fut accueillie avec une émotion plus sérieuse qu’en Alsace. On y connaissait trop bien les Allemands, leurs convoitises et leurs prétentions pour ne pas comprendre tout de suite que la nationalité même du Bas et du Haut-Rhin allait être mise en question, qu’il s’agissait cette fois de rester Français ou de subir les dures lois de la conquête. Les paysans eux-mêmes, sur toute la frontière bavaroise, de Niederbronn à Wissembourg, demandèrent des armes pour se défendre. Le gouvernement, qui se défiait trop de la nation pour armer chaque citoyen, qui d’ailleurs prétendait s’attribuer à lui seul tout l’honneur de la victoire, rejeta dédaigneusement cette demande malgré les pressantes sollicitations de quelques députés. Le premier résultat d’une politique si peu nationale fut de livrer à l’invasion un pays sans défense et d’exposer ceux qui se défendaient à toutes les rigueurs de la loi martiale. Dès leur entrée en campagne en effet, les Prussiens annoncèrent que les paysans français, n’étant organisés comme les leurs, ni en bataillons de gardes mobiles ni en bataillons de gardes nationaux, seraient passés par les armes, s’ils essayaient de résister. Cette loi si dure me paraît point avoir été appliquée le premier jour car les journaux allemands racontent que parmi les prisonniers de Wissembourg se trouvaient deux paysans accusés d’avoir tiré sur les troupes prussiennes. Ces malheureux, n’ayant point été fusillés sur place dans la chaleur de l’action, ne le furent sans doute pas plus tard ; mais, dans les combats suivans et dès la journée de Wœrth, les vainqueurs usèrent rigoureusement du droit, qu’ils s’attribuaient, droit extrême, contraire au droit des gens, qu’ils maintiennent encore aujourd’hui et contre