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ou les fanatiques, que la conscience ne subit pas d’interrègnes, et que si la révolution de 1793 a noyé les plus belles pensées philosophiques dans le sang, c’est qu’elle est tombée des lèvres des philosophes aux mains des tribuns, des mains des tribuns aux mains des Syllas et des Césars, lavant le sang dans le sang, et restaurant facilement la tyrannie que les sociétés préfèrent justement aux crimes… » Et Lamartine ajoutait : « Une histoire écrite dans cet esprit sera pour le peuple une haute leçon de moralité révolutionnaire propre à l’instruire et à le contenir la veille d’une prochaine révolution. »

C’était un idéal magnifique, ce n’était malheureusement qu’un idéal. Au fond, ce livre fait avec l’arrière-pensée de populariser un nom et le mot de révolution, peut-être de les identifier dans l’esprit des masses, ce livre était moins une histoire que le roman passionné et fascinateur d’une époque de pitié, de sang, de grandeur sinistre, d’héroïsme et de terribles mystères laissés comme un poids sur la conscience française. Ce n’était pas le livre d’une raison forte et sévère s’appliquant à dégager la moralité des révolutions humaines, c’était l’œuvre éblouissante et hasardeuse d’un esprit qui s’était dit qu’il voulait être le « dramaturge du plus vaste événement des temps modernes. » Historien, Lamartine ne faisait que transporter dans un autre cadre les procédés, les séductions et les faiblesses de sa nature. Homme de génie tout personnel, il se cherchait lui-même dans le drame qu’il racontait, il poursuivait son image et son idée dans ces mêlées puissantes. Jocelyn devenu tribun se retrouvait dans ces visages d’un Mirabeau, d’un Vergniaud, et il se retrouvait, bien entendu, en beau, avec son profil serein et superbe. Homme d’imagination avant tout, Lamartine parlait à l’imagination de ses contemporains en transfigurant tout par l’imagination. Il n’absolvait pas le crime et les implacables fureurs sans doute, il en atténuait le caractère et l’horreur par des magies de style, des profusions de couleurs et des impartialités de pinceau qui ravivaient sans cesse l’intérêt eh l’égarant.

Hommes et événemens, il voyait tout par le « côté littéraire, » presque en peintre indifférent à la moralité des choses, en écrivain uniquement préoccupé de captiver, de passionner l’opinion par la puissance de ses évocations, par l’inépuisable fascination du talent. Tout y était, hormis la sûreté du jugement ; on aurait dit plutôt un esprit devenu la proie de son sujet, s’enivrant de ses propres récits, et, par un entraînement singulier ou par une préoccupation plus étrange encore, après avoir paru prendre pour héros ces brillans, chevaleresques et légers girondins, il semblait n’arriver, à mesure qu’il avançait dans son œuvre, qu’à subir la supériorité des