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trouveraient une destination inconnue. Que Lamartine, en passant peu à peu du camp conservateur dans un camp d’opposition et jusque dans la démocratie la plus avancée, obéît à une certaine logique et eût une conviction excitée, fortifiée par une politique qui ne lui suffisait plus, soit, je n’en veux pas douter ; mais un mobile avoué ou inavoué chez lui, c’était aussi certainement ce besoin de trouver un rôle à la mesure et à la hauteur de son imagination dans un ordre nouveau fait pour mettre d’accord ses pressentimens et ses intérêts d’ambition.

Le point central où viennent se rencontrer en quelque sorte ce sentiment presque naïf d’une personnalité débordante, ces passions d’imagination, ces impatiences d’un avenir élargi, ces fermentations d’idées démocratiques et de progrès social auxquels l’auteur de Jocelyn avait déjà ouvert son âme avant que le politique en fît son dogme et son programme, c’est ce livre des Girondins, livre-événement dont Lamartine lui-même ne soupçonnait pas la retentissante fortune, et qui par le fait devenait l’apprentissage intellectuel ou la préface d’une révolution nouvelle. Que voulait, que poursuivait Lamartine, et dans quelles dispositions d’esprit abordait-il cette redoutable tâche de l’évocation de tout un passé ? Il n’est rien de tel pour préparer une révolution que de trop la prévoir, de s’y intéresser, de s’accoutumer à la considérer comme inévitable parce qu’on en a d’avance accepté les périls et les responsabilités. Le jour où Lamartine, revenant aux flottantes aspirations de son esprit, s’était éloigné par degrés de la monarchie de 1830 en se disant que ce régime ne pouvait être qu’une halte entre deux orages, une étape précaire dans le mouvement de rénovation qui emportait la France depuis un demi-siècle, ce jour-là il avait fomenté dans son âme une révolution ; il saisissait en quelque sorte son rêve, ce rêve de « poésie en action » dont il berçait secrètement sa pensée ambitieuse, et « cette poésie en action, » avant de la chercher dans la réalité contemporaine, il la cherchait dans un passé encore mal refroidi, dans le plus dramatique événement des temps modernes.

Assurément, dans sa conception première et avouée, ce livre, que Lamartine méditait comme une préparation aux événemens, n’avait rien que de juste et d’élevé. Il s’agissait, c’est lui qui l’assure, d’écrire pour ce peuple de France une histoire impartiale, morale et pathétique à la fois de sa première révolution, afin de lui montrer par tous les faits de cette révolution « qu’en histoire comme en morale chaque crime, même heureux un jour, est suivi le lendemain d’une véritable expiation, que les peuples comme les individus sont tenus de faire honnêtement les choses honnêtes, — que le but ne justifie pas les moyens, comme le prétendent les scélérats de théorie