Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ce camp conservateur où il était encore et d’où il allait s’élancer vers l’inconnu avec l’impatience d’un homme qui faisait probablement déjà comme la France, qui s’ennuyait. N’y aurait-il pas eu quelque moyen de retenir ce vaillant athlète qui arrivait aux tribunes et aspirait à l’action politique après avoir épuisé la popularité du poète ? N’aurait-on pas pu le rattacher plus intimement à cette monarchie de 1830, pour laquelle il montrait volontiers de la froideur, mais qu’il défendait après tout comme un gouvernement de nécessité ou de raison, et dont il n’était pas l’ennemi implacable, puisqu’il cherchait à le prémunir contre ses périls et ses faiblesses ? Est-ce enfin pour quelque mécompte inavoué d’ambition vulgaire, parce qu’on ne lui aurait pas offert un ministère, une grande ambassade ou la présidence de la chambre, qu’il aurait songé à préparer sa retraite dans le camp de l’opposition la plus extrême, comme un Coriolan méditant ses vengeances ? Ce serait la plus banale des explications. Sans doute il s’est complu à raconter lui-même, non sans une certaine satisfaction rétrospective, que le roi Louis-Philippe avait eu des vues sur lui, que pressé un jour par un de ses familiers, qui demandait pourquoi on ne récompenserait pas d’un portefeuille les services libres et indépendans de l’auteur de Jocelyn, le chef de la dynastie de 1830 aurait répondu : « Non, non, ne m’en parlez pas encore, son temps viendra ; je ne veux pas l’user avant l’heure. M. de Lamartine, ce n’est pas un ministre, c’est un ministère… » Que serait-il arrivé de Jocelyn premier ministre sous un roi constitutionnel ? On ne le distingue pas bien. Lamartine ambassadeur aurait voulu tout au moins qu’on lui donnât un congrès à diriger. Premier ministre, il ne lui aurait fallu rien moins que quelque grande révolution pacifique à conduire. La vérité est que Lamartine était l’homme le moins fait pour ces situations régulières, pour l’action collective, disciplinée et quotidienne du pouvoir ou des partis, et que, dans le moment même où il semblait mûr pour les honneurs ministériels, il proposait au gouvernement de 1830 les plus hardies extensions de démocratie, « l’idée des masses, » comme il disait, « l’organisation, la moralisation, la constitution des droits, des intérêts, du travail dans la classe la plus nombreuse…, » de sorte que ce politique étrange, parti de la légitimité, campé un instant sous la tente de M. Molé en 1839, dépassait d’un seul coup les oppositions les plus avancées, réunissant en lui tous les contrastes d’idées, de situations, et justifiant déjà ce mot de M. de Humboldt : « Lamartine est une comète dont on n’a pas encore calculé l’orbite.

Non, en vérité, le secret des évolutions de Lamartine, comme de son rôle politique, n’est point dans un vulgaire mécompte ; il est