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désinfection, à la suite d’une discussion qui a révélé des faits trop ignorés. Ainsi dans les graves conjonctures du moment, à l’heure du suprême effort, tout le monde rivalise de zèle pour adoucir les rigueurs, alléger les charges, conjurer les périls. Circonscrire autant que possible les maux de la guerre, empêcher la maladie d’y joindre ses ravages, préserver la santé de nos combattans, c’est prolonger la défense, c’est travailler à la victoire. Dans les pages qui suivent, nous n’avons qu’un but, tracer rapidement l’ensemble des mesures d’hygiène dont la nécessité ressort à la fois des études théoriques et d’une pratique assurée. Nous y joindrons les remarques spéciales que suggère l’état de Paris, c’est-à-dire sa situation de ville assiégée, inévitablement transformée en camp, caserne et ambulance.

La première condition de salubrité de la grande ville, c’est la pureté relative de l’atmosphère, qu’on n’obtient que par un moyen, la désinfection. Les principes qui vicient l’atmosphère sont de nature très multiple et très diverse ; aussi convient-il, pour les atteindre tous, d’employer plusieurs agens distincts. On a cru longtemps que le chlore était l’agent purificateur par excellence, parce qu’il décompose ou détruit les gaz odorans tels que les hydrogènes sulfuré, phosphore, carboné, auxquels on attribuait l’infection miasmatique. On sait aujourd’hui que les miasmes n’ont rien de commun avec de tels gaz, et que le chlore ne détruit pas les miasmes. Tandis que ces gaz méphitiques, bien connus des chimistes et innocens à petite dose, proviennent de la décomposition des matières organiques, les miasmes, poisons subtils et insaisissables, émanent des agglomérations vivantes dans des conditions encore indéterminées.

Le chlore, les hypochlorites, les vapeurs nitreuses, doivent donc être employés pour la destruction chimique des gaz délétères, c’est-à-dire pour la désinfection de l’air et du sol viciés par toutes les vapeurs qui émanent de la décomposition putride[1]. Contre les miasmes, la chimie nous fournit des agens d’une efficacité remarquable, parmi lesquels il faut placer au premier rang la créosote et surtout l’acide phénique. Il est curieux de remarquer que des traces de ces agens énergiques se retrouvent dans les substances que la vieille médecine préconisait autrefois, la suie, la fumée et le goudron. L’action de l’acide phénique est très remarquable. Appliqué sur les matières organiques en décomposition, il arrête celle-ci et opère une sorte de tannage. Répandu à l’état de vapeur dans l’atmosphère ou versé dans un liquide fermentescible, il tue les spores, les fermens, toutes les molécules vivantes dont le développement engendre ou propage les maladies épidémiques. A Paris,

  1. Les essences et les parfums d’origine végétale ne détruisent rien, ils masquent simplement les odeurs méphitiques.