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de ces extrémités redoutables où pour la Prusse il n’y a qu’un système d’usurpations sans issue, où pour la France il n’y a plus que le combat sans trêve et sans merci.

Est-ce là ce que voulait M. de Bismarck ? C’est étrange. Si habile que puisse être le chancelier de la confédération du nord, il ne nous semble pas avoir été des plus heureux pour sa propre cause dans ce dernier essai de négociation, et ce n’est vraiment pas. À nous de le regretter. La fumée du succès lui a monté au cerveau. Il a trop laissé voir l’impatiente rapacité du vainqueur, il s’est trop dévoilé comme le porte-drapeau d’un absolutisme envahissant, plein de mépris pour tous les droits. Peut-être s’est-il figuré que par l’audace de ses prétentions il allait nous intimider ; peut-être a-t-il cru qu’il était de bonne guerre d’exagérer ses forces et de paraître au courant de nos faiblesses. Il s’est trompé dans ses conjectures et dans ses calculs ; il a produit un effet tout contraire, et c’est là pour ce qui nous touche le résultat des négociations avortées de Ferrières. Ces négociations ont mis de notre côté le droit et dans le cœur du pays la passion généreuse d’une résistance désespérée. Il y a longtemps qu’on a dit que le plus difficile en certaines circonstances était non pas de faire son devoir, mais de le connaître. Cette fois la France voyait où était le devoir, elle le sentait. Le rapport de M. Jules Favre lui a révélé la suprême puissance d’une vérité faite pour enfanter l’héroïsme, c’est qu’une nation « peut périr, non se déshonorer. » Dès ce moment, il n’y a plus eu, il ne pouvait plus y avoir qu’une pensée, qu’une volonté, et Paris s’est tenu prêt à affronter ce siège, qui a eu déjà ses combats, ses engagemens, à Châtillon, à Villejuif, du côté de Saint-Denis. Paris s’est accoutumé comme un bon soldat à vivre au bruit du canon.

Quelle sera la durée et quelles seront les péripéties de ce siège extraordinaire ? Évidemment, après avoir pu concevoir une telle pensée, et surtout après avoir refusé de souscrire à une paix qui sauvait l’inviolabilité de la grande ville, les Prussiens emploieront tous les moyens possibles pour réussir, pour satisfaire cette espèce d’âpre désir de barbare qui les a poussés sous les murs de la cité rayonnante de la civilisation. Ils peuvent tenter des attaques de vive force sur nos défenses, et ce ne serait pas sans doute le plus grand danger. La cuirasse qui protège Paris, l’ardeur des combattans, la multiplicité croissante de nos moyens d’action, tout cela est fait assurément pour ménager à l’audace d’une attaque soudaine quelque rude et décourageante réception ; mais, il ne faut pas s’y méprendre, d’autres moyens peuvent entrer dans les plans de l’ennemi. Les Prussiens peuvent s’établir autour de Paris, essayer de nous enfermer dans un blocus étouffant, et le caractère défensif qu’ils donnent à certains de leurs travaux semblerait révéler cette pensée. C’est là une des chances du siège ; seulement cette tactique est, si l’on