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qu’elle a été un grand acte moral fait pour parler à toutes les âmes, à toutes les imaginations et même à la raison. On a vu dans le ministre des affaires étrangères de la république nouvelle bien moins un diplomate empressé de se donner une mission difficile qu’un plénipotentiaire de l’équité et de l’honneur cédant à une sorte d’émotion religieuse de sa conscience, mettant au-dessus de tout le prix du sang des peuples, écartant toutes les subtilités, toutes les formalités d’une diplomatie ordinaire, et allant en patriote, en honnête homme, à l’ennemi, pour lui dire en quelque façon à brûle-pourpoint : Voulez-vous la paix ? quelles sont vos conditions ? Avant qu’une guerre d’extermination commence, expliquons-nous, arrêtons-nous.

M. Jules Favre a donc fait au nom de la paix, de l’humanité, de la civilisation, ce douloureux pèlerinage qu’il a raconté lui-même dans un émouvant rapport adressée ses collègues du gouvernement de la défense nationale, à la France et au monde. Sans autre secours qu’une introduction assez sommaire, à ce qu’il semble, et peu significative, ménagée par la diplomatie étrangère, il est allé, à travers les lignes prussiennes et les campagnes dévastées des environs de Paris, chercher M. de Bismarck, qu’il a fini par rencontrer d’abord dans un château près de Méaux, puis à Ferrières, au quartier-général du roi, et ici en vérité s’est passée une scène tout aussi extraordinaire que la démarche de notre ministre des affaires étrangères. M. Jules Favre portait dans cette négociation étrange une pensée parfaitement nette, parfaitement honorable, qu’il a du reste avouée et précisée lui-même. Il ne pouvait supporter l’idée de voir commencer le siège de Paris sans tenter un effort suprême pour prévenir de nouvelles effusions de sang. Si la Prusse voulait « traiter sur les bases d’une indemnité à déterminer, la paix était faite. » Si le cabinet prussien hésitait à se lier avec le gouvernement sorti de la révolution du 4 septembre, rien n’était plus simple que de convenir d’un armistice qui permettrait à la France de nommer en toute liberté une assemblée constituante. Quinze jours suffisaient. En définitive, il y avait deux questions : la condition première de la paix et l’armistice. Quant à la Prusse, on ne savait point encore au juste ce qu’elle pensait, ce qu’elle voulait ; on pouvait certes le soupçonner sans un grand effort de divination. Depuis le commencement de la guerre, la presse allemande a fait assez de bruit de ses ambitions conquérantes, et les journaux anglais eux-mêmes, trop empressés à se faire les échos du cabinet de Berlin, ont plus d’une fois tracé le programme des prétentions germaniques avec une précision singulière, avec des expressions que le chancelier de la confédération du nord n’a eu qu’à reprendre au courant de ses conversations avec M. Jules Favre ; mais enfin ces prétentions n’avaient pas pris une forme authentique, elles n’étaient pas encore un programme de gouvernement. Il n’y a plus aujourd’hui d’équivoque possible. La