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surtout accumulées entre Mars-la-Tour, Gravelotte et Jaumont, sur le théâtre de ces sanglantes batailles où tant de victimes humaines ont succombé, où tant de mutilés souffrent encore. Là, plus que des ruines : dans les villages en cendres, de rares habitans mourant de faim, aucune trace de ce qui sert à la vie, ni bestiaux, ni fourrage, ni blé, ni paille, ni avoine, ni aliment d’aucune sorte. Les Prussiens ont tout pris. S’il reste quelque chose, on ne le trouve que dans leur camp. Toutes les routes, tous les sentiers qui conduisent à Metz, gardés par des canons et par des retranchemens, ferment absolument toute communication entre la ville et la campagne. Tous les paysans qui ont pu fuir sont partis, abandonnant leurs champs, leurs maisons dévastées, suivant avec les débris de leur mobilier les routes qui conduisent en Belgique et dans le grand-duché de Luxembourg. Quelle misère au retour ! que l’hiver paraîtra long et douloureux entre les quatre murs nus, en face des étables vides et des terres incultes ! Combien d’années ne faudra-t-il pas pour réparer les ruines qu’une heure a faites ! Peut-être des villages, autrefois peuplés et riches, disparaîtront-ils de la carte ; peut-être aucun des fugitifs ne viendra-t-il reprendre possession de la maison désolée, du foyer abandonné. L’invasion aura fait le vide et le désert devant elle. Toute âme élevée devrait de temps en temps se représenter ce spectacle, ces hommes qui n’ont plus de patrie, ces femmes errant sur les routes avec leurs enfans, ces infirmes et ces vieillards qui n’ont même pas pu se traîner hors de chez eux, qui attendent la mort dans les angoisses de la faim. On s’exhorterait ainsi à détester la guerre, on retirerait aux conquérans les noms fastueux qui les décorent, on ne penserait jamais à leur gloire sans penser en même temps aux larmes qui l’arrosent.

Au milieu de la campagne désolée, l’héroïque cité de Metz, enveloppée dans sa double armure de remparts et de forts, défie toutes les attaques de l’ennemi. On y a beaucoup souffert, on y souffrira encore ; mais les courages n’y sont point abattus. Aucune population n’est plus capable que celle-là d’énergiques sacrifices : les enfans y respirent en naissant quelque chose de belliqueux et de fier, ils grandissent au milieu des soldats. On berce leur enfance avec des souvenirs de guerre, on leur apprend que jamais leur patrie n’a été prise, qu’aucun ennemi n’a encore pénétré dans leurs murs. Devenus hommes, ils sont prêts d’avance à tous les dévoûmens. Dès le début de la guerre, ils ont pris un fusil et gardé la ville. Aujourd’hui le maréchal Bazaine ne doit faire aucune différence entre ses vaillantes troupes et les bourgeois de Metz : même courage et même patriotisme des deux côtés. Dans ces villes militaires de la Lorraine et de l’Alsace, les gardes nationaux valent des