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vivait dans la plus complète ignorance de ce qui se passait à trois lieues de la ville, vers Forbach. Des bruits sinistres circulent. Les journaux allemands annoncent que les environs de Metz ont été mis au pillage par un régiment de maraudeurs dont les généraux prussiens eux-mêmes désavouent et flétrissent la conduite. On craint que Faulquemont et Pange ne soient saccagés. On parle de l’incendie du château de Mercy. Dans quel état retrouverons-nous l’aimable village de Rémilly, une des communes les plus civilisées et les plus florissantes de France ? Reverrons-nous encore ces beaux jardins dessinés par la main d’un artiste, ces demeures élégantes toutes remplies d’œuvres d’art, cette église, cette maison d’école que le peintre Auguste Rolland avait rebâties ou construites à ses frais avec autant de goût que de générosité ? Là où nous avions vu, au commencement de la guerre, une population patriotique apporter à nos soldats fatigués des vivres, des provisions de toute nature, saluer leur départ avec confiance, les encourager à la victoire, règne maintenant le silence de la dévastation et de la mort.

Sur la rive gauche de la Moselle, le pays n’a pas moins souffert. C’est d’abord le génie militaire qui a fait autour de la ville son œuvre de destruction indispensable, en rasant les maisons, en abattant les arbres, en ruinant tous les abris où l’ennemi aurait pu trouver un refuge. De la terrasse de l’Esplanade, dont la vue est si renommée, on n’aperçoit plus, comme jadis, une riante et aimable campagne, une rivière coulant sous de beaux ombrages, des prairies égayées par des bouquets de saules et de peupliers, un horizon de collines couvertes de bois, de vignes, de villas. Aussi loin que l’œil peut s’étendre, la guerre a promené ses ravages : les forêts à demi brûlées n’offrent plus aux regards que des ruines de verdure. Les beaux arbres, qui tantôt dessinaient et tantôt masquaient comme un rideau le cours sinueux de la Moselle, gisent sur le sol, abattus par la hache ou brisés par les obus. De loin en loin, les taches noires des murs calcinés marquent l’emplacement où s’élevaient de riches villas, d’élégantes maisons de campagne. Sous les grandes arches de Jouy qui coupent si majestueusement la vallée de la Moselle de leurs lignes imposantes, dans cette ville d’Ars où la fumée des usines annonçait de loin toutes les richesses de l’industrie moderne au milieu de toutes les richesses de la nature, c’est maintenant l’artillerie prussienne qui élève des redoutes et prépare ses pièces de siège. Le formidable appareil de la guerre remplace partout les paisibles travaux d’autrefois. Tant qu’ils l’ont pu, les francs-tireurs ont défendu leurs maisons, leurs biens, les manufactures qui les faisaient vivre. Écrasés par le nombre, ceux d’entre eux qui ont survécu montent la garde sur les remparts de Metz.

Mais toutes les horreurs que la guerre traîne après elle se sont