Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’emploi des sommes prêtées. La facilité d’emprunter produirait en effet les plus fâcheuses conséquences, si les sommes étaient appliquées improductivement soit à des dépenses de luxe, soit à l’achat de terres dont le produit n’égalerait pas l’intérêt à payer. Le crédit n’est utile qu’à la condition d’être employé à propos, et il est au nombre des bonnes choses dont on peut abuser. Certes il n’y a pas lieu d’attendre des résultats extraordinaires du crédit agricole ; il faut se garder cependant d’imputer à l’institution elle-même les fautes de ceux qui en font un mauvais usage. D’autres ont soutenu que l’emprunteur agricole, ne retirant de la terre que 2 1/2 à 3 pour 100, ne pouvait pas, comme l’industriel et le commerçant, payer 5 et 6 pour 100, d’où ils tiraient cette conclusion qu’il faut organiser des institutions spéciales pour procurer à l’agriculture un intérêt supportable. Nous ferons remarquer d’abord que la destination des sommes empruntées importe peu au créancier. Le prêteur ne connaît d’autre règle que son avantage, et si les garanties offertes par deux emprunteurs sont égales, il choisira celui qui donne l’intérêt le plus élevé sans rechercher quelle est sa profession. La sûreté du capital et le taux de l’intérêt, telles sont les deux considérations qui déterminent le capitaliste, et tant qu’on n’entrera pas dans la voie des emprunts forcés, il se portera vers les conditions les plus favorables sans se préoccuper de l’intérêt général de l’agriculture. C’est que le mouvement des capitaux obéit à la loi de l’intérêt privé, comme les corps suivent l’action de la pesanteur. Demander un intérêt spécial pour les prêts agricoles, c’est courir après une chimère. Au reste, les déposans qui ont émis ce vœu nous paraissent avoir confondu le crédit agricole avec le crédit hypothécaire.

Il est vrai que la rente foncière ne dépasse pas en moyenne 3 pour 100, et que souvent elle descend jusqu’à 2 et même 1 pour 100. Aussi le propriétaire qui a recours au crédit hypothécaire arrive-t-il infailliblement à la ruine, s’il laisse agir longtemps sur sa fortune l’action dévorante des intérêts. Il suffit qu’une propriété immobilière soit grevée de créances à 5 pour 100 jusqu’à concurrence de la moitié de sa valeur pour que la totalité du revenu soit absorbée par le service des intérêts, ce qui oblige le débiteur, lorsqu’il n’a pas d’autres ressources pour vivre, ou à capitaliser les arrérages ou à faire de nouveaux emprunts jusqu’à épuisement de son crédit. Emprunter une petite somme dont l’intérêt sera facilement payé avec une portion du revenu de l’immeuble hypothéqué ou avec les produits d’une carrière lucrative, c’est une combinaison qui peut être excellente, s’il s’agit de prévenir le démembrement d’une terre. Ce serait aussi une bonne affaire dans le cas où les sommes empruntées devraient servir à quelque entreprise productive, telle que l’achat