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LES
HOMMES D'ARGENT
DANS LA COMEDIE FRANCAISE

Il y a dans notre théâtre un rôle qui se rattache par un lien étroit à notre vie nationale, en sorte que la comédie, pour l’expliquer et le comprendre, a besoin des lumières de l’histoire, et que l’histoire peut tirer quelque profit des annales de la comédie : c’est celui du financier. Les variations de ce rôle correspondent aux changemens qui sont survenus dans le personnel de ceux qui levaient les impôts. Tant que les hommes chargés de faire à l’état les avances dont il avait besoin ont été dans la position d’usuriers auxquels un grand seigneur souscrit des billets avec une familiarité hautaine, le financier sur la scène fut un personnage ridicule et gauche, mais admis dans la société choisie à cause de ses écus, dont on ne pouvait se passer. C’était l’époque des partisans. Quand la guerre, les fléaux, la famine, rendirent le concours de ces hommes indispensable, et qu’ils en abusèrent cruellement, quand le besoin d’argent et la fureur de l’agiotage abaissèrent les caractères et confondirent les rangs, le théâtre s’inspira de l’indignation générale, et une comédie immortelle changea les plaisanteries en traits brûlans : Turcaret fit oublier tous ses devanciers. Le nom de traitant marqua cette époque intermédiaire, et ce nom, qui avait été créé pour effacer l’impopularité du précédent, devint plus odieux encore. Lorsqu’enfin les châtimens provoqués par la colère publique eurent effrayé l’argent, et que le gouvernement se fut adouci pour le rassurer, il y eut comme un traité d’alliance entre les hommes d’argent et les ministres. Ce fut le triomphe de la banque ; les capitalistes furent les rois du temps. Comment supposer que le théâtre pût faire la guerre à de si puissans seigneurs ? Et d’ailleurs, pour le ton et