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Ainsi tout le monde y fut trompé ; mais au jour tombant un officier-général, le marquis de Vieuxpont, eut ordre de marcher sur l’Escaut avec trente bataillons et des pontons qu’il devait jeter en arrivant, à quelque heure que ce fût. Le comte de Broglie, avec trente escadrons, dut marcher le long de la Selle, en s’approchant de l’Escaut. En même temps les officiers de détail allèrent porter les ordres aux première et seconde lignes de la cavalerie de la droite et délai gauche, et de l’infanterie. La persuasion de la marche sur Landrecies avait été si forte que, lorsque les lieutenans-généraux qui commandaient les ailes entendirent le commandement de marcher pour retourner en arrière, plusieurs hésitèrent ; il fallut répéter l’ordre. A la fin, tout s’ébranla. A la pointe du jour, Villars était de sa personne à deux lieues de l’Escaut, lorsque le marquis de Vieuxpont lui manda qu’il était découvert, et le pria de lui faire savoir ce qu’il fallait faire. Puységur proposa de marquer le camp dans l’endroit où l’on était. A quoi songez-vous ? répondit Villars, avançons, et en même temps le général en chef envoya des officiers au grand galop pour donner l’ordre de jeter les ponts, et lui-même se mit dans une chaise de poste, pour aller plus vite à l’Escaut et accélérer le passage.

« Quand j’arrivai, dit Villars, je trouvai plusieurs bateaux déjà posés, et nulle opposition de la part de l’ennemi. Je franchis la rivière, faisant avancer un maréchal des logis et dix cavaliers devant moi. Je trouvai au-delà un marais fâcheux, ce qui me fit craindre que le peu d’obstacles de la part des ennemis à mes ponts ne vînt de la confiance qu’ils avaient en ce marais. J’ordonnai à la colonne qui passait sur les ponts de la droite de suivre une chaussée qui, selon les apparences, tenait à la terre ferme. Je me mis en même temps à la tête de la brigade de Navarre, et, quoique bien monté sur un très grand cheval, j’eus de la peine à traverser le marais. Les soldats de Navarre, dans l’eau et la boue jusqu’à la ceinture, me suivirent avec leur ardeur ordinaire. » La colonne de droite, suivant la chaussée, ne trouva aucune difficulté, et l’on arriva ensemble à ces fameuses lignes que les ennemis appelaient insolemment le chemin de Paris. C’était une double ligne bien couverte, au milieu de laquelle passaient les convois qui venaient de Marchiennes ; elle aboutissait au camp retranché de Denain, défendue par plusieurs redoutes, qui furent brusquement abordées et emportées. L’infanterie se mit en bataille dans le terrain même qui était entre ces deux lignes, et fît halte quelques momens, car, ne voyant pas de mouvement chez l’armée ennemie que nos mouvemens auraient dû attirer sur l’Escaut, Villars craignit que le prince Eugène ne tombât sur son arrière-garde. Il retourna donc rapidement vers les ponts, et envoya l’ordre à tous ses officiers-généraux qui n’avaient point encore passé l’Escaut de marcher en bataille, de se tenir sur leurs