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« Je souhaite fort que votre dessein sur le camp de Denain réussisse promptement ; mais, si cela manquait, vous auriez peut-être grand regret, dans la suite, d’avoir donné aux ennemis le temps de rassembler toutes leurs troupes, d’établir quelque poste de l’autre côté de la Sambre, où vous croyez pouvoir les attaquer. Le principal objet du roi est d’empêcher qu’ils ne se rendent maîtres de Landrecies, et, si vous y réussissiez en attaquant le camp de Denain, vous y auriez honneur, et sa majesté serait très contente. Mais si, après toutes les réflexions que vous faites, Landrecies se trouvait pris, il semble que vous en prenez sur vous, l’événement et toutes les suites. Toutes vos lettres sont pleines de réflexions sur le hasard d’une bataille ; mais peut-être n’en faites-vous pas assez sur les tristes conséquences de n’en point donner, et de laisser pénétrer les ennemis dans le royaume. Il me semble, à vous parler naturellement, qu’après les ordres réitérés de sa majesté les plus fortes réflexions du général, doivent être pour bien faire ses dispositions et profiter des momens. Je crois vous faire plaisir de vous parler avec cette liberté. Le roi, après avoir entendu la lecture de votre lettre et après avoir fait la réflexion que je viens de vous, marquer, m’a dit qu’il attendait votre courrier. Ce ne serai pas sans quelque espèce d’inquiétude. »


Le camp retranché de Denain était enlevé lorsque cette dépêche fut rendue dans les mains du maréchal de Villars ; mais on voit par sa lettre du 24, après la, victoire, combien il avait été sensible à cette manifestation chagrine, et le 25 il mandait à M. Voysin : « Je ne répondrai point exactement, monsieur, à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 23, par la quantité d’affaires que j’ai ; la journée et la nuit sont trop courtes. Il me sera très aisé de faire voir bien clairement ; qu’à moins de vouloir exposer l’armée ; du roi à une perte très apparente, il n’a jamais pu être fait ce que Dieu nous a fait la grâce d’exécuter heureusement, car mes retardemens étaient pour attirer l’ennemi dans les plaines de Cambrai, et peut-être y serait-il venu sans les avis très certains qu’a eus M. le prince Eugène que mes ordres, étaient de secourir Landrecies, ce qui ne se pouvait, y arrivant, même deux heures après l’ennemi, sans un grand hasard d’être battu. »

Que s’était-il passé au camp de Villars et dans l’esprit du général en chef pendant, cette journée du 23 juillet, à l’aube de laquelle il semblait qu’on allait attaquer sur la Sambre, et au couchant de laquelle on marchait ; rapidement à l’opposé sur l’Escaut et sur Denain ? Nous n’avons, pour répondre à cette question, que la relation de Villars lui-même dans ses Mémoires. Il n’a rien dépêché à la cour en cette journée ; il la passa tout entière à cheval, en reconnaissances et en conférence avec ses officiers les plus affidés. Ayant reconnu les dangers d’une grande bataille et se souvenant, de